Architecture 1950
Elle a trouvé à Royan un terrain d'expérimentation idéal... La guerre ayant rasé absolument tout le centre ville, on donna carte blanche aux architectes des années 50 !
Article publié le samedi 15 mars 2008
Témoignage : la courte histoire de la maquette de Royan
1-Loiselet, 2-Morisseau, 3-Marmouget, 4-Monique Zimmer, 5-Zimmer, 6-Claude Ferret, 7-Simon
Lorsque j'arrive à Royan en novembre 1950, je suis littéralement atterrée par ce tas de décombres où mes parents ont décidé de s'installer. Mon père Henri Zimmer, architecte DPLG vient pour participer à la reconstruction de Royan. Reconstruire une ville !.... le rêve de tout architecte. Lorsqu'un confrère Bordelais le lui propose il n'hésite pas une seconde, bien que son agence de Dole dans le Jura soit en pleine prospérité. L'attrait de la mer y est aussi pour beaucoup . Dole n'avait été qu'un entracte pour fuir Paris , les bombardements et la faim.
Hélas pour moi c'est loin d'être un rêve, ce serait même plutôt un cauchemar. J'ai 18 ans, je viens de passer le bac et je quitte tout ce qui fait la vie d'une adolescente normalement constituée : le lycée, les amies, les copains, une ville avec des magasins, des bibliothèques, des cinémas, des distractions. Dans le tourbillon du déménagement et les allées et venues de mon père qui terminait ses chantiers dolois tout en commençant les études royannaises, Dole n'étant pas vraiment la porte à coté de Royan, personne n'avait pensé à m'inscrire pour une suite d'étude. Il est donc trop tard et je me retrouve bien esseulée et bien cafardeuse dans cette ville détruite que je me mets à détester franchement. Heureusement que par la suite je changerai d'opinion, car je vais y vivre 27 ans et connaître toutes les étapes de sa renaissance. Cette déprime, sévère, dure jusqu'au mois de février. Un beau jour mon père arrive en me demandant si je serai d'accord pour venir les aider à "la baraque" (c'est ainsi qu'ils appellent le baraquement de bois sis entre les deux ailes du futur front de mer où travaille l'équipe des architectes).
La "baraque" des architectes
Et comment que "je voulais"!
Me voici donc partie avec lui . Il m'explique qu'ils désirent faire une maquette de la ville qu'ils sont en train de concevoir afin de la présenter aux futurs habitants car cela est beaucoup plus parlant que des plans ou même des élévations. C'est très intimidée que j'entre dans cette ruche. Mon père a retrouvé là d'anciens copains des Beaux-arts, en particulier Louis Simon qui était du même atelier que lui, l'atelier Pontrémoli-Lecomte, tout comme Patou et Morisseau. Je les connais évidemment car ils sont des familiers de la maison. Je suis accueillie avec gentillesse, mais j'avoue que je n'en mène pas large. Des grandes planches à dessins posées sur des tréteaux, des jeunes gars qui y "grattent" dans les positions les plus diverses, car ces planches plates ne sont pas d'un confort parfait. On est loin du matériel sophistiqué employé aujourd'hui. C'est encore le "moyen âge" : une planche, un Te, une équerre, crayon ou "tire barre" c'est tout leur équipement. J'apprends que ces jeunes gens sont des élèves de l'atelier Ferret. Claude Ferret est en effet professeur de l'École régionale d'Architecture de Bordeaux et Urbaniste en Chef de la ville de Royan. C'est lui qui doit animer cette équipe au travail. On me présente Loiselet (dont je pense n'avoir jamais connu le prénom. En " archi "on connaît rarement le prénom des gens. La coutume veut que l'on s'appelle par son nom de famille). C'est lui qui va superviser la réalisation de la maquette. Peu après un sympathique menuisier vient nous aider, mais cela est si loin que je ne me souviens plus de son nom. Peut-être se reconnaîtra-t-il sur cette photo entre Loiselet et moi. A la fin un dénommé Bertrand viendra nous donner un coup de main.
Pour l'instant on aménage un immense plateau sur lequel "l'oeuvre" va reposer. Puis c'est la course aux matériaux : cartons, colle, baguettes, peintures, etc... Enfin on s'installe. Je ne sais rien faire, mais je m'y mets vite car cela me passionne. Il faut en premier lieu aménager les courbes de niveaux. Les dénivellations ne sont pas faites de couches successives comme cela se fait habituellement, le carton est encore trop rare. Loiselet réalise un bâti en bois sur lequel nous collons une feuille de carton. Puis on aménage les trous dans lesquels vont venir s'encastrer les divers bâtiments qui reposant sur la planche auront ainsi beaucoup plus de stabilité. Ensuite j'apprends comment réduire à l'échelle demandée les plans et les façades des bâtiments. Cela est reporté sur des cartons. Il ne reste plus qu'à découper et coller. Pour faire les tuiles on peint une feuille de carton en rose puis on trace la rainure tous les 3 mm. Un travail de fourmi. Les fenêtres sont découpées et du mica suggère les vitres. Enfin les bâtiments sont peints. Dès le début un gros problème se pose, celui de la découpe des cartons, car les cutters n'existent pas. C'est le chirurgien de Saint Georges de Didonne... qui nous tire d'affaire en nous fournissant des scalpels facilement aiguisables. Nous sommes accompagnés toute la journée par les coups cadencés de la "sonnette", cette énorme masse tombant d'un immense échafaudage pour enfoncer les pieux de trente mètres qui devront supporter le front de mer à peine sortit de terre. C'est dans des positions impossibles que l'on travaille mais l'ambiance est plutôt gaie et décontractée.
Tous ont retrouvé leurs vingt ans, les blagues et les chants d'atelier pas toujours très "châtiés" il est vrai, mais par égard pour mes chastes oreilles lorsque je suis là ils fredonnent ou font la...la...la. J'ai été élevée dans cet atmosphère et ne m'en formalise pas outre mesure. Certes, ils ont la voix haute et le rire sonore, mais je vous jure qu'ils travaillent et même qu'ils travaillent dur car le temps presse et l'on est souvent "Charrette". Mais évidemment comme ils "planchent" tard dans la nuit ou même parfois la nuit entière, ces débordements vocaux font que l'on pense qu'ils s'amusent toujours et même... pire.
En réalité ils ont instinctivement recréé l'ambiance de leurs ateliers d'architecture avec vingt ans de décalage. Je ne le savais pas vraiment alors, bien que mes parents aient toujours vécu de façon assez bohème, mais étant entrée à l'atelier Ferret l'année suivante j'ai pu faire la comparaison. Dans ces ateliers il n'y a pas de cours professoraux. Les uns les autres qui s'épaulent et se passent le savoir. Les anciens aident les nouveaux et ceux-ci travaillent pour eux, apprenant ainsi le métier. Le patron passe une ou deux fois par semaine corriger les projets en cours, dont les sujets sont envoyés et jugés à Paris. Tout cela dans un chahut indescriptible et des bizutages pas toujours très drôles pour ceux qui en sont victimes. Mais on travaille car il faut décrocher ce fameux diplôme. Ce qui aide beaucoup aussi à cette époque, c'est la possibilité de "négrifier" chez un architecte installé. Ainsi on apprend sur le tas, en quelque sorte, tout en gagnant un peu sa vie. Cela permettait aux plus démunis de financer leurs études. Mai soixante huit à mis fin à tout cela.
C'est l'explication de ces nuits royannaises sonores que les voisins de la baraque interprétèrent à leur façon. D'autant que les départs nocturnes n'étaient pas particulièrement silencieux. Certains avaient tendances (et je dis bien certains) à forcer un peu sur la bouteille ce qui n'arrangeait rien
Pendant que l'on coupe et découpe on voit défiler les futurs propriétaires qui viennent discuter de l'aménagement de leurs demeures. Les Royannais sont nostalgiques de leur ancienne ville et évidemment déçus de ne pas la retrouver. On entend souvent le même refrain : Ce qu'ils avaient avant était beaucoup plus grand, beaucoup plus beau. Ce qu'on leur impose beaucoup trop petit et si laid ! difficile de faire comprendre qu'on ne peut pas refaire de l'ancien. Je ne porte pas de jugement, je ne fais que me souvenir de ces interminables discussions. J'ai en mémoire en particulier une charmante vieille dame qui devait aimer être là car elle venait souvent, chapeau à fleur sur la tête (et oui ! on portait encore des chapeaux) et canne à la main. Elle se perchait sur un de nos tabourets et regardait dessiner en discutant de sa maison.
Une autre source de conflit est la place du magasin de chacun dans le projet. Tous veulent être en façade et poussent des hauts cris lorsqu'ils s'aperçoivent qu'ils sont dans un U. Or Royan, ville d'hiver s'est concentrée derrière le front de mer, rue de la République et avenue Gambette tandis que les magasins de la façade sur mer sont plutôt ceux de Royan ville d'été. Leur angoisse était donc infondée. Nous écoutons tout cela d'une oreille distraite tandis que nos mains continuent sans relâche à construire notre ville miniature.
On peut voir sur la photo ci-après le centre administratif qui était prévu sur la place Charles de Gaulle en face de la galerie commerciale avec un portique les reliant et qui ne fut pas réalisé.
A gauche, le centre administratif, à droite, la galerie commerciale
Les bâtiments de la maquette s'encastrent dans les trous des courbes de dénivellations et lorsqu'ils sont un peu hauts, la partie immergée est souvent plus haute que la partie émergée. La blague c'est de les sortir et de les poser a coté du trou ! Le matin nous n'étions plus à Royan mais à New-York.
Ce qui fut beaucoup moins drôle c'est de retrouver un jour notre maquette en morceau. Des vandales l'avaient abîmée et cela nous fit perdre un temps précieux.
On travaille donc tard le soir et parfois même la nuit en particulier le mois qui précéda la venue de notre ministre de la reconstruction, Claudius Petit.
Une nuit quelques jours avant sa venue, alors que les bâtiments sont en place mais que l'on aménage les alentours, la plage, le port, les jardins, nous tombons en panne d'éponges vertes avec lesquelles nous faisions les arbres. Il devait être minuit ou une heure du matin. Pourtant nous voilà partis à la pharmacie la plus proche, je pense que c'était celle de M. Bujard. La sonnette de nuit le réveille. Je vous laisse à penser son étonnement lorsqu'on lui demande des ...éponges...et des vertes. Heureusement il rit de bon coeur lorsqu'on lui explique le problème. À Royan tout le monde savait que les architectes étaient des farfelus. Et j'ai bien peur que pour beaucoup cette réputation leur soit restée. Bah ! ce n'est pas grave. Royan est cependant , grâce à eux, une ville bien belle et très originale.
Les petits bonshommes qui courent sur la plage ou traversent (hors des " clous " bien entendu), les " Grouillots " sont faits d'un morceau d'allumette, fendu en bas pour faire deux jambes. Un coup de peinture en haut pour les cheveux, un pour le maillot de bains et la maquette s'anime.
C'est par centaine qu'ils courent, marchent ou même jouent au volley, avec le filet, bien entendu, ou au ballon sur la plage. Il faut de l'imagination car on sort à peine des restrictions et beaucoup de choses manquent encore. Mais de l'imagination ce n'est pas ce qui leur fait défaut. Tout le monde se prend au jeu : les uns fabriquent de petites voitures qui occupent les futurs parkings, d'autre de très beaux modèle réduits de bateaux qui mouillent au port. Il y a même les tentes sur la plage.
Les problèmes sont toujours les mêmes et en particulier faire tenir droits les poteaux du front de mer. Eux aussi sont faits d'allumettes. Il faut sans cesse les redresser et les recoller. La "sonnette"? et ses coups sourds ne doit pas être étrangère à ces mini tremblements de terre. Je suis souvent à plat ventre chargée de cette délicate opération.
Lorsque la date de la visite de notre ministre de la reconstruction est définitivement fixée c'est la fièvre car comme toujours on a du retard.
Les quarante huit heures précédant son arrivée je suis sûre que nous n'avons dormi qu'une heure ou deux et encore sous les tables à dessins.
Enfin c'est le grand jour. Son arrivée est prévue aux environs de dix heures. On est encore en train de peindre la mer avec de gros pinceaux lorsque l'on entend les motards et les divers véhicules de la délégation stopper devant la baraque. Souriant notre ministre descend de voiture. Il est accueilli, non par la traditionnelle marseillaise mais par un tonitruant "pompier", le chant national de l'école
des beaux arts .
Zimmer, Francisque Perrier et Patou en train d'entonner le "pompier"
Il connait bien Louis Simon et doit être habitué aux farces de ces incorrigibles car il parait apprécier. Évidemment que croyez-vous que M. Claudius Petit fit en premier en arrivant devant la maquette ? il posa les deux mains sur la table en demandant :
- alors cette belle ville où en est-elle ? et il les retire pleine de peinture bleue car la " mer " n'a pas eu le temps de sécher. Cela le fait bien rire car c'est un homme plein d'esprit :
- cochons d'architectes, nous lance-t-il, vous l'avez fait exprès j'en suis sûr, vous n'êtes pas à une blague près ! "
Nous sommes tellement fatigués que beaucoup s'endorment pendant les discours, moi la première . Le casino conçu par Claude Ferret et Marmouget, un de ses élèves particulièrement doué, figurait évidemment sur notre maquette. Cette superbe réalisation venait achever avec cohérence la courbe
du front de mer et l'intégrait magnifiquement à l'arrondi de la plage.
Le Casino de Royan démoli en 1985
Hélas trois fois hélas, mille fois hélas cette perle de l'architecture des années cinquante n'est plus. Je ne veux pas épiloguer mais je crois que je ne me consolerai jamais de cette vandale destruction. Le portique aussi à été démoli. Pourtant il donnait aux deux parties du front de mer une unité parfaite. Regardez comme cela était élégant .
La photo montre bien la courbe harmonieuse de l'ensemble
L'enlever a incontestablement détruit l'élégance et l'équilibre de l'ensemble. Mais il parait que cela ne servait que de "pissoir" à chien. Alors que dire après cela ! La rentrée 1951 arrive et je choisis naturellement d'entrer aux Beaux - Arts, section architecture dans l'atelier de Claude Ferret à Bordeaux. Je commence en octobre 1951 pensant avoir laissé l'aventure de la maquette derrière moi. Et bien non, l'aventure n'est pas finie. La maquette doit être présentée au salon des Arts Ménagers de Paris qui s'ouvre au Grand Palais. Royan se révèle être la plus "design" des villes reconstruite après la guerre. Peut être aussi la préférée de notre ministre malgré ses mains bleues. C'est aussi celle qui a une maquette à montrer aux parisiens. Tout ces éléments font qu'une nuit nous voici sur la route dans la cabine d'un énorme camion plate forme sur lequel a été chargée à grand peine notre fragile construction. Étant hors gabarit nous voyageons avec une estafette et un gyrophare.
Il fait un froid sibérien car l'immense nef de verre et de fer du grand Palais n'est pas chauffée. A midi les ouvriers qui installent l'exposition m'accueillent autour de leur brasero et me font réchauffer ma "gamelle". Le soir je suis reçue chez Louis Simon.
Sur la coupure de journal ci dessous, le petit tas de chiffon au fond... c'est moi. Que croyez vous que je fais ? Je recolle les piliers du front de mer. Mais même la colle gèle.
J'ai quitté là cette maquette que je n'ai jamais revue car la vie m'a emportée. Études, mariage, enfants j'avais bien d'autres soucis.
Je ne sais ce qu'elle est devenue. Elle fut je crois, un temps exposée au sous sol de la mairie ( d'autres personnes m'ont dit du palais des congrès ?). Faite de matériaux légers, avec le seul but de présenter Royan à ses futurs habitants, elle n'a pas résisté au temps, aux déménagements et à la poussière.
Le Pompier
On dit quelque fois au village
Qu'un casque ça sert à rien du tout rien du tout
ça sert à donner du courage
À ceux qui n'en ont pas du tout pas du tout.
De loin ça prend des airs fantasques
Et chacun dit en les voyant :
Ah ! C'qui sont beaux avec leurs casques
ça leur donne un p'tit air épatant.
ah...ah...ah...
refrain
Bref c'est une coiffure
Qui sied à la figure
Un casque de pompier
ça fait presqu'un guerrier
ça leur donne un air vainqueur
Qui ne sied pas mal à leur valeur
Sous son casque luisant
il a l'air épatant vraiment
zim la boum la boum la y là
On peut l'blaguer tant qu'on voudra
Zim la boum la boum la y là
Le pompier est bien au dessus de ça !
(En référence évidemment au " pompiérisme " des arts plastiques classiques du XIXe que la vague impressionniste et toutes celles qui ont suivit critiquaient violemment)
par Monique Canellas Zimmer