Royan 1914 - 1918
Article publié le 29/07/2014 par Marie-Anne Bouchet-Roy
Le célèbre Café des Bains, à l'angle du bd Gambetta et de la rampe Lessore, rendez-vous des Royannais et estivants. En juillet 1914, les conversations portent sur les plaisirs de la saison mais aussi sur les tensions internationales. Coll. P. Morel
Le 2 août 1914, la déclaration de guerre cueille la ville de Royan en pleine saison touristique. Elle suspend brutalement la vie de cette station touristique renommée qui sort d'élections locales - Charles Torchut a été élu maire en 1912 - et s'apprête à fêter le mois d'août. La mobilisation concerne les hommes de 20 à 45 ans. Les Royannais sont principalement affectés dans les régiments locaux traditionnels : le 6e RI (régiment d'infanterie), et son régiment de réserve, le 206e RI; le 57e RI, le 123e RI, le 144e RI dont la 9e compagnie stationne à la caserne Champlain à Royan ainsi que son régiment de réserve, le 344e RI. D'autres rejoignent des régiments territoriaux qui constituent une sorte de 3e rideau. Certains, moins nombreux, sont enrôlés dans des régiments du génie, d'artillerie, des régiments de hussards, du train, de dragons, de cuirassiers. Enfin quelques uns rejoignent l'aviation ou la marine.
Les soldats de l'infanterie se voit attribuer l'uniforme chamarré de 1870, avec son pantalon rouge vif à liseré noir (le fameux garance), une tunique bleue et une casquette rouge, le tout rehaussé de boutons et ornements brillants. Cet uniforme fera des Français de belles cibles pour les combattants d'en face. Il faut attendre fin 1914 début 1915 pour que la tenue bleu horizon soit délivrée aux troupes françaises. Chaque soldat reçoit son paquetage de campagne (environ 27 kg sans la toile de tente) dont le fameux fusil Lebel, autrefois efficace mais vieillissant, qui pèse près de 5 kg avec la baïonnette.
Les soldats du 144e à l'exercice devant la caserne Champlain. Coll. P. Morel
La plupart des régiments montent au front entre le 4 et le 10 août 1914. La 9e compagnie du 144e RI part de la caserne Champlain le matin du 4 août. Lire le récit du départ par le Capitaine Didier, commandant la compagnie.
Les Royannais subissent le premier feu dès la fin du mois d'août, prenant part à la bataille des frontière en Lorraine et en Belgique. Le choc est violent. Le 22 août est le jour le plus meurtrier de l'histoire de France avec 27000 Français tués. L'année 1914 voit disparaître au moins 56 Royannais. L'un des derniers morts de l'année tombe le 22 décembre à Vendresse (Ardennes). Il s'appelait Gaston Avrillaud, était soldat au 144e RI et avait 23 ans.
La ville de Royan s'installe dans la guerre en conservant cependant ses particularités de station balnéaire au climat favorable et de place stratégique dans la défense de l'estuaire de la Gironde.
Les Hôpitaux de bord de mer
La violence des premiers combats entraîne un afflux de blessés qui doivent être soignés dans les villes de l'arrière. Royan prend toute sa part à l'accueil des blessés, à sa manière, puisque plusieurs des bâtiments transformés en hôpitaux sont les fleurons de l'équipement touristique de la ville. Ainsi, en plus de l'hôpital civil Marie-Amélie, rue Saint-Pierre, six autres établissements de soin vont ouvrir, dont deux dans les casinos de la cité.
Pour équiper ces hôpitaux qui manquent de tout, la municipalité fait appel à l'entraide et à la solidarité. De nombreux galas de bienfaisance et fêtes de charité sont organisés permettant de collecter des fonds. Ces manifestations sont l'occasion de maintenir une certaine activité mondaine au service des œuvres de guerre. La bonne société s'y retrouvent et fait preuve de générosité.
Les blessés s'intègrent dans la ville, sortent, participent aux cérémonies. Ceux qui décèdent dans les hôpitaux, de leur blessure ou de maladie, sont inhumés au cimetière des Tilleuls, après des obsèques solennelles. Le moral des convalescents n'est pas toujours au beau fixe. Pour se changer les idées, ils participent aux fêtes et galas, parfois organisés dans l'enceinte même du casino, fréquentent les cabarets où l'on sert de l'absinthe, pourtant interdite depuis août 1914, ou même font assaut d'ironie dans Le Pistolet, journal créé par les blessés du casino municipal de Royan en mai 1915. Ils aiment particulièrement sortir même s'ils n'en n'ont pas toujours l'autorisation et vouent une admiration sans borne à leurs infirmières, souvent secondées par des jeunes filles de bonne famille.
Dévolu aux convalescents musulmans, l'Institut collégial, dans le Parc de Royan, prend des airs de caravansérail selon la formule de Myriam Harry. Lauréate du prix Fémina en 1905 pour La conquête de Jérusalem, l'écrivain qui fréquentait Royan avant-guerre, écrit dans l'Illustration de septembre 1915 un long article dans lequel elle constate que les Algériens, Marocains, Tunisiens "sont bien, ici, entre cette mer si douce qu'elle leur rappelle la Méditerrannée, et la forêt de pins d'où s'évapore comme d'innombrables cassolettes la chaude et résineuse senteur. Ils pourraient presque se croire chez eux devant les figuiers des jardins et près de cet "oued cacahouettes" (le riveau), bordé de roseaux fous dans lesquels ils se taillent des flûtes bédouines"
Dessin de José Simont, L'Illustration du 22 septembre 1915. Coll. M. Sicard
Royan zone de guerre sous-marine
Royan est située au carrefour du trafic maritime sur l'estuaire et du trafic côtier entre l'Espagne et l'Angleterre. Cette zone qui joue un rôle essentiel dans l'approvisionnement est en zone de guerre qu'il faut protéger des offensives des navires de surface et des attaques sous-marines. Le capitaine de frégate, Marie Gustave Pierre Larauza, est nommé commandant du Front de Mer de la Gironde. L'embouchure est gardée, au sud, par le fort du Verdon, au nord par le fort du Chay, la batterie du fort de Suzac et celle de Bonne Anse. Sur la rive droite, trois projecteurs électriques éclairent les passes la nuit, à Suzac, au Pigeonnier et sur la corniche nord de Pontaillac. Au Pigeonnier, l'actuelle allée de la Lanterne qui débouche sur le boulevard de la Côte d'Argent, évoque le souvenir de ce dispositif. Le projecteur, gardé à l'abri au fond de l'allée, était glissé sur des rails, à la tombée du jour, jusqu'à un édicule dominant la mer.
L'abri bétonné protégeant le projecteur du Pigeonnier. Coll. P. Morel
Les Royannais sont témoins de plusieurs attaques de sous-marins allemands, les redoutés U-Boote, qui entretiennent un climat de terreur. Le 7 septembre 1915, le cargo boat Bordeaux est torpillé à 10 milles de l'embouchure. Les passagers et l'équipage, réfugiés dans les chaloupes de sauvetage, sont conduits au port de Royan. Le 16 mars 1916, deux bateaux pilotes, le Marthe-Yvonne et le Cordouan sont coulés, les équipages pouvant gagner Royan dans les chaloupes. Plus dramatique, l'attaque du voilier de pêche l'Irma (photo ci-contre coll. M. Sicard), au large de Cordouan, se solde par la mort du mousse de 14 ans, Maurice Le Moyec dont les obsèques solennelles ont lieu à Royan. Face à ces menaces, le dispositif de défense est renforcé. Des postes de combat sont créés, un filet anti sous-marin est tendu entre le Pigeonnier et la bouée n° 12 puis entre cette bouée et le Verdon, les bouées lumineuses sont éteintes et l'éclairage interdit jusqu'à 4 km à l'intérieur des terres à l'automne 1917. La flotille du Front de Mer, basée à Royan, contrôle les navires et s'équipe en dragueurs de mines. Les navires de commerce sont armés de canons. À partir de 1916, une escadrille de chalutiers patrouilleurs et de torpilleurs protège l'embouchure et garantit la sécurité des passes.
La surveillance des mouvements des sous-marins devient primordiale. Un centre de ballons captifs est créé à Royan, sur l'esplanade de Foncillon le long du port. Gonflées à l'hydrogène, pourvues d'une nacelle dans laquelle prennent place deux observateur, ces "saucisses" ,comme on les surnomme, sont remorquées en mer par bateau et stationnent au-dessus des flots. Enfin, les services de renseignement et d'espionnage, français et allemands, s'activent, alimentant parfois les rumeurs qui courent les rues de Royan.
À Foncillon, les préparatifs avant le lancement de la saucisse pour une patrouille. Coll. M. Sicard
La vie quotidienne
En plus des blessés, la ville accueille de "nouveaux étrangers". On y croise les militaires, en service au Front de Mer de la Gironde, les marins de la flotille de surveillance et des bateaux patrouilleurs, les soldats en instruction et en repos à la caserne Champlain, les Américains à partir de 1917 et les militaires du CRIP, centre régional d'instruction physique, à compter de 1918. À ce contingent, qui fait dire à certains journalistes que Royan est une ville de garnison, il faut ajouter les permissionnaires.
Remise de décoration à l'extrémité de la façade de Foncillon. La ville compte de nombreux militaire. Coll. M. Sicard
D'autre part, Royan voit arriver, dès le début de la guerre, les réfugiés de l'Est et du Nord de la France qui fuient les zones de combat. La population et la municipalité royannaise font preuve de solidarité, pour héberger, ravitailler, aider ces familles qui ont tout laissé derrière elles. Comme partout en France, cet afflux de réfugiés déclenchera cependant quelques réticences et des difficultés d'intégration. Enfin, la ville reçoit également des prisonniers de guerre qui sont utilisés pour divers travaux, notamment dans les fermes qui manquent de bras. Leur présence et leur "utilisation" sont strictement réglementées par nombre de circulaires administratives.
Prisonniers allemands employés aux travaux forestiers. Coll. G. Binot
Pendant 4 ans, Royan s'installe dans une économie de guerre qui comporte des réquisitions, de chevaux, d'autres animaux de ferme, de céréales, de lait, de voitures, etc. et des restrictions. L'eau, le gaz, le charbon, le pétrole et l'essence sont strictement rationnés, au moyen de cartes et de coupons. De nombreuses restrictions concernent également l'alimentation. Les tickets de rationnement sont mis en place dès le mois de décembre 1914 dans les zones occupées et gagnent progressivement le reste de la France. Le pain, le sucre, la viande, le tabac sont rationnés et la ville connaît à plusieurs reprises des pénuries de lait et de beurre. Même si la population ne souffre pas exagérément, grâce aux ressources naturelles de la région, la hausse des prix et les pénuries ponctuelles atteignent particulièrement les plus modestes et l'on voit se multiplier les fraudes, assorties de sanction, et les vols de bois, de fruits, de légumes et d'animaux de basse-cour. En ces temps de pain gris, les Royannais bénéficient du naufrage d'un navire norvégien, le Peter Jebsen, au large du Verdon le 29 mars 1917. Son chargement de sacs de farine échoue sur les plages de la côte et sera utilisé pour faire du pain blanc.
"L'épopée" du Jebsen en images
La guerre est présente à Royan, avec son lot de deuils, annoncés aux familles par le chanoine Guilbaud, curé doyen de Notre-Dame, mais aussi les nouvelles mobilisations, la lecture quotidienne du communiqué officiel depuis le balcon de la mairie (dessin ci-contre. Coll M. Sicard), communiqué porté tous les matins à Mme Joffre qui résidait au Grand Hôtel du Parc à la fin de l'été 1914. Pourtant, avec l'arrivée des beaux jours, la saison reprend pour ceux qui ne sont pas sur le front, femmes et enfants, hommes âgés ou inaptes au combat. La ville s'apprête, les cafés ouvrent, les concerts, spectacles et animations se multiplient, le plus souvent au profit des œuvres de bienfaisance et agrémentés de manifestations patriotiques. Les Royannais sont informés par la presse nationale mais également par les deux journaux locaux qui continuent de paraître pendant la guerre : le Journal de Royan et Le Radical. Les nouvelles passent par le filtre de la censure, destinée d'abord à éviter la divulgation d'informations militaires puis à éviter de fâcheuses influences sur l'état d'esprit de la population.
L'arrivée des Américains
Les États-Unis entrent en guerre le 6 avril 1917 et les soldats américains, les Sammies, débarquent progressivement en France à partir du mois de juin. La municipalité royannaise écrit aux ministères de la Guerre et de la Marine pour que la ville de Royan soit choisie pour un débarquement des troupes d'outre-Atlantique. C'est finalement à Talmont-sur-Gironde que le génie américain décide d'installer un port en eau profonde, engageant des travaux considérables. Le rocher du Sphinx est dynamité ainsi qu'une partie des falaises du Caillaud. Pour réaliser les aménagements nécessaires et notamment les voies ferrées, des camps de soldats américains sont installés à Talmont, à Semussac, à Arces-sur-Gironde, à Saujon. Royan compte aussi un contingent de Sammies et se voit qualifiée de base américaine. Avec la présence de ces jeunes gens pleins d'entrain qui participent aux fêtes et commémorations, les Royannais découvrent le jazz et assistent aux premiers matchs de basket-ball et de volley-ball sur le territoire français.
En novembre 1918, dans les jardins de Foncillon, un des premiers matchs franco-américains de basket-ball en France dans le cadre du CRIP (Centre Régional d'Instruction Physique). Coll. M. Sicard
La fin de la guerre
La nouvelle de l'Armistice signée le 11 novembre 1918 se répand rapidement et une manifestation improvisée se déroule à Royan. L'idée d'ériger un monument en hommage aux Poilus royannais apparaît immédiatement et une souscription est ouverte. Le monument aux morts, signé Gaston Leroux, sera inauguré le 1er novembre 1921 par le maire Charles Torchut, sur l'ancienne place des Acacias rebaptisée place du maréchal Foch. Il est toujours à sa place, rescapé du déluge de feu qui s'abattra sur la ville en janvier et avril 1945.
Le discours du maire Charles Torchut inaugurant le monument aux morts. Coll. M. Sicard
Les Royannais ne sont pas au bout de leurs peines. La grippe espagnole qui sévit depuis l'automne 1918 fait encore de nombreux morts, parmi les civils et parmi les soldats, toujours mobilisés. En 1919, la vie reprend son cours avec la tenue des élections législatives puis municipales. Charles Torchut est réélu maire de la ville le 10 décembre 1919. Henry Boulan est son premier adjoint et Jules Lehucher le second adjoint. La saison a repris dès 1919 et Royan se met à l'heure des Années folles, plus démocratiques et ouvertes sur les relations internationales.
La vie de la station balnéaire reprend... jusqu'à la prochaine guerre. Coll. F et B Fouquet
En savoir plus :
Royan 1914-1918, Marie-Anne Bouchet-Roy et Christophe Soulard, éd. Bonne Anse