Bouchet, Louis
Une note établie en 1946 par le Commandant Gston Thibaudeau, chef départemental de la Résistance en Charente Maritime, qualifie ainsi le résistant Louis Bouchet : « Ardent patriote, très intelligent et très dévoué, hautes vertus morales, extrêmement actif, énergique et brave... ». Ardent patriote... Le patriotisme fut certainement l'un des ressorts les plus puissants de son engagement dans la Résistance.
Premières armes
Un patriotisme inculqué dès l'enfance, dès l'école, et que n'ont pas émoussé quatre années d'une guerre sans merci de 1914 à 1918. Car Louis Bouchet, né à Royan en 1892, appartenait à la classe 1912 qui fit deux ans de service militaire avant d'être mobilisée en 1914. C'est de la Caserne Champlain à Royan qu'il partit pour le front du Nord-Est, le 4 août 1914. Il occupait un poste de mitrailleur au 54° régiment d'infanterie. Son attitude au feu lui valut d'être trois fois cité à l'ordre de son régiment et décoré de la Croix de Guerre et de la Médaille Militaire. Il ne s'en tenait pas quitte pour autant avec le service de la patrie. La suite le prouvera.
La fin de la guerre le ramène à la vie civile à Royan, où il peut enfin épouser, le 18 janvier 1919, sa fiancée, Julia Stavard, modiste. Aux côtés de sa mère, Marie-Louise, veuve d'Émile Bouchet, prématurément décédé, il prend la direction de l'épicerie créée par ce dernier. Il y retrouve son frère Paul, de 4 ans son cadet. Tous deux, aidés de leurs épouses, vont donner à l'affaire familiale une impulsion décisive, développant, en outre, un commerce de vins en gros.
Unis dans le travail, les Bouchet vivent aussi dans une étroite proximité familiale, habitant sous le même toit et partageant les même valeurs de travail, d'hospitalité, de générosité qui leur valent l'estime et l'amitié de leurs concitoyens.
Malgré sa petite taille, 1m,60m, Louis est vigoureux et agile. Son visage énergique, aux traits fins, très souriant, attire la sympathie. Ceux qui l'ont connu, évoquent sa gaité, son goût pour la plaisanterie et aussi sa droiture et son humanité.
Louis Bouchet participe activement à la vie sociale par le biais de plusieurs sociétés sportives ; c'est notamment un passionné de chasse, loisir qu'il partage avec de nombreux habitants de Royan et de sa région. Sur le plan idéologique, il est membre de la Franc-Maçonnerie, où il compte de nombreux amis. Politiquement, il est radical-socialiste et voit avec sympathie la victoire du Front Populaire en 1936. C'est dire son horreur des régimes fasciste et nazi qui s'installent à la fin des années 30 en Italie et en Allemagne.
La guerre encore et la défaite
En 1938 et 1939, c'est la montée des périls. Le 3 septembre 1939, la guerre éclate. Bientôt, les réfugiés commencent à arriver à Royan. Ce sont des Lorrains, de la ville de Bitche. Le maire de l'époque, Paul Métadier, proteste contre l'obligation faite à sa ville de les accueillir. Les Bouchet qui, en 1932, ont agrandi leur épicerie, hébergent une famille dans leur ancienne maison et Louis Bouchet procure un travail à l'un des fils dans sa propre affaire.
Le 10 mai 1940, l'offensive allemande déferle sur le territoire français, foudroyant les armées françaises et jetant sur les routes de l'exode, des millions de civils. Au gouvernement replié à Bordeaux, l'affrontement entre ceux qui souhaitent poursuivre la guerre et les partisans d'un armistice demandé à l'ennemi tourne en faveur des seconds.
Le lendemain de la signature de l'armistice, le dimanche 23 juin, une division motorisée allemande entre en avant-garde dans Royan, déclarée ville ouverte.
Comme assommée par les événement, la population royannaise regarde avec stupeur les soldats vainqueurs investir les hôtels, les villas, les casinos, les plages, naguère fréquentés par l'élégante clientèle bourgeoise ou les premiers « congés payés ».
Royan, comme au temps des guerres du passé, redevient, par sa situation à l'entrée de l'estuaire de la Gironde, commandant l'accès du port de Bordeaux, un enjeu stratégique dans un monde en guerre.
Passé le choc, un calme factice s'installe, vite dissipé par un événement dramatique : dans la nuit du 13 au 14 août, une sentinelle allemande est retrouvée morte au Golf Hôtel, siège du commandement de la Kriegsmarine. Les habitants du quartier sont brutalement tirés de leurs lits pour des interrogatoires sans ménagement. Les dénonciations, déjà, parviennent à la police allemande ; l'une d'elle vise Joël Renauleaud, un employé de la maison Bouchet, interrogé par la Gestapo. Reconnu innocent, il deviendra le bras droit de Louis Bouchet dans la Résistance et sera à ses côtés dans les moments les plus risqués. 10 otages appartenant à la Municipalité sont pris et internés à La Rochelle. La ville est frappée d'une amende de trois millions et les plages sont interdites. Cette mort ne fut jamais élucidée et les 10 otages seront finalement échangés contre un seul communiste absolument innocent. L'occupant avait montré son vrai visage.
Comme partout en zone occupée, la population souffre de privations de toute nature. Le rationnement est établi et entraîne inévitablement le marché noir. La maison Bouchet s'efforce de rendre service aux familles les plus démunies mais ne profite pas des circonstances. Mme J.B. se souvient avoir vu Louis Bouchet éconduire sans ménagement une cliente venue le solliciter pour quelque denrée au marché noir.
Jacques Lefaure, membre du groupe Germain de Royan, ancien déporté, apporte le témoignage selon lequel, Louis Bouchet a embauché comme livreur dans son entreprise, Roger Vancauvenberghe, ancien employé de la mairie d'Ivry-sur-Seine, licencié pour son appartenance au Parti communiste avant la guerre et mentionné dans un rapport de police du 24 février 1942.
Tandis qu'une majorité de la population adhère au culte du Maréchal Pétain et qu'une minorité s'engage dans la collaboration, ce qu'on appellera la Résistance n'est encore, chez quelques uns, qu'une sourde révolte, difficilement contenue. Il faut subir la loi du vainqueur. Une anecdote, à ce propos, rapportée par Pierre, fils de Louis Bouchet. Ce dernier, grand chasseur, avait une chienne qu'un officier allemand avait remarquée. La chasse était interdite aux Français, toutes les armes à feu ayant d'ailleurs été, en principe, livrées à l'occupant. L'officier exigea que Louis Bouchet lui « prête » sa chienne pour l'emmener à la chasse une fois par semaine. La bête étant, elle aussi, privée de son sport favori, sautait joyeusement dans le véhicule de l'officier, tandis que son maître maugréait entre ses dents : « Ah, traîtresse !...»
Comme toute la zone côtière, Royan est située en « zone rouge », c'est à dire interdite à toute personne n'y résidant pas ou non munie d'un sauf-conduit (Ausweiss) délivré par les autorités occupantes. Il y a des postes munis de barrières, familièrement appelées par les Royannais « balustrades », sur les routes d'accès et des contrôles à l'arrivée des trains. Pour les besoins de son commerce, Louis Bouchet disposait d'un véhicule et d'un permis de circuler. Chaque semaine, parfois en compagnie de son fils et d'un camarade de ce dernier, il se rendait en « tournée », chez des paysans viticulteurs qui étaient à la fois ses fournisseurs et ses amis. Dans ce cadre rural, la présence allemande se faisait moins pesante et la parole était plus libre. C'est dans ces villages de la campagne que Louis Bouchet rencontre ou identifie les hommes ou femmes qui formeront le noyau de la résistance dans la région royannaise.
L'engagement
Malgré le brouillage et les risques encourus, beaucoup de Royannais écoutent la radio anglaise et prennent peu à peu conscience que l'Allemagne pourrait un jour être vaincue.
Mais comment agir pour hâter cette défaite, alors que les occupants sont quasiment aussi nombreux que les civils, que la zone côtière est rigoureusement interdite aux non-résidents et les déplacements dans cette zone particulièrement contrôlés ?
Les membres des groupes «Louis»(Louis Bouchet) recueillent des renseignements sur les mouvements ennemis et les défenses allemandes mais comment et à qui les transmettre ?
C'est là que le réseau d'amitiés constitué de longue date par Louis Bouchet révèle son efficacité. Grâce notamment à des complicités dans les chemins de fer, avec René Gauffier, Emile Joly, respectivement chef et sous-chef de gare à Royan, Paul Rullier, chef d'exploitation S.N.C.F. à Saintes, Plazanet, chef de gare à Angoulême, les informations arrivent à passer en zone libre, dans des conditions parfois rocambolesques. La filière mise en place assure le transport du courrier mensuel pour Londres, via Bordeaux et Toulouse. Mais la répression s'organise aussi et les services de sécurité français et allemands multiplient les arrestations et les mesures d'expulsion : le groupe Germain, d'obédience communiste, constitué dès 1941 est décimé début 1942 : 22 membres du groupe sont déportés, essentiellement pour s'être livrés à des actions de propagande anti-nazie et anti-collaborationniste. Son chef, Roger Bolleau, transféré au fort de Romainville est exécuté comme otage,le 21 septembre 1942, en même temps que deux professeurs du Collège Émile Zola de Royan, Robert Dartagnan et Léonce Laval, probablement dénoncés comme sympathisants socialistes. Un autre professeur, Jean Rattaud, pour le même chef d'accusation, aura plus de chance et sera seulement expulsé de Royan et nommé à Saint-Jean d'Angély, où il deviendra l'un des organisateurs de la Résistance dans cette ville.
En toute occasion, la famille Bouchet manifeste sa sympathie et apporte parfois un soutien matériel aux familles des victimes de la répression nazie. (témoignage Jacques Lefaure)
Vers l'union
Fin 1942, début 1943, en dépit de cette répression impitoyable, les grands mouvements de Résistance se mettent en place sur le territoire national, occupé en totalité à partir de novembre 1942. Le mouvement Organisation Civile et Militaire (O.C.M.) né de la conjonction d'éléments militaires et de groupes civils, s'affirme comme le plus important mouvement de Résistance du Sud-Ouest. L'un de ses principaux responsables dans la région, Jean Garnier, dit Labrousse, de Saint-Hillaire de Villefranche, contacte Madeleine Fouché, alias «Françoise», déjà engagée dans la Résistance active. Il lui demande de le mettre en relation avec des personnalités de la région de Royan, pouvant se joindre au Mouvement O.C.M. et à son corrolaire sur le plan militaire, l'Armée Secrète. Françoise prend contact avec Louis Bouchet et un officier retraité à Royan, le Commandant Baillet.
Henri Gayot mentionne une première rencontre, le 15 juin 1943, qui se tient 14 rue du Chay, au domicile de Clément et Madeleine Ferrero, beau-frère et belle-sœur de Louis Bouchet, dans un quartier plus discret que le centre ville, où se trouve la Maison Bouchet.
A cette réunion assistent le Général Bruncher (alias Felix) de Fouras, le Commandant Baillet et le Commandant Thibaudeau, alias «Marché » tous deux rattachés à 'Etat-major de l'A.S. à Bordeaux.
Le 27 juillet, toujours chez les Ferrero, et malgré les risques encourus par tous les participants, une nouvelle réunion met en place les responsables de la Résistance pour toute la région royannaise : le Commandant Thibaudeau prend la tête de l'ensemble Royan-Presqu'île d'Arvert, ainsi que des cantons de Marennes, Cozes et Gémozac. Il remplace, à ce poste, le Commandant Baillet, recherché par la police allemande et déplacé en Charente. Thibaudeau a comme adjointe, Françoise et comme agent de liaison, Thérèse Lopez, alias« Madeleine ». Louis Bouchet est nommé responsable du secteur de Royan, comportant une vingtaine de groupes de trois à cinq membres et directement rattaché à l'O.C.M. à Bordeaux. La constitution de ces groupes, leurs attributions précises, témoignent de la multiplicité des contacts pris par Louis Bouchet depuis des mois. Son rayonnement personnel et ses qualités d'organisateur lui ont permis de rassembler et de coordonner des velléités éparses, en une organisation capable de collecter et de transmettre des renseignements, de mettre en sûreté et faire évader des personnes recherchées par la police allemande ou française, de fournir de faux papiers, de récupérer des armes, le tout grâce à des complicités dans la gendarmerie, les chemins de fer, les Ponts et Chaussées, les Eaux et Forêts. Louis Bouchet est également en rapport avec les mouvements de Résistance issus du parti Socialiste clandestin, notamment Michel Boucher à Pisany, Marcel Guillot à Saintes, affilié à Libé-Nord.
Pour des raisons impérieuses de sécurité, les responsables de ces groupes ne savent pas toujours quels sont les chefs au niveau départemental ou régional, ce cloisonnement étant le propre de tous les mouvements de résistance.
Répression
La mise sur pied, dans tout le Sud-Ouest, d'une organisation de Résistance puissante et structurée n'échappe pas à la vigilance de l'Occupant, malheureusement secondé par la Collaboration française sous toutes ses formes.. Au mois d'août 1943, le siège des services de police et de sécurité allemands ( la S.I.P.O.S.D.) de Paris, 11 rue des Saussaies, est alerté par un rapport émanant d'un ex commissaire de La Rochelle.15 policiers français et allemands sont envoyés dans le département. S'ensuit une série d'arrestations qui frappent particulièrement le groupe Honneur et Patrie de La Rochelle, affilié à l'O.C.M. et le réseau Centurie dont les chefs, Léopold Robinet et Le Commandant Lisiack sont arrêtés ainsi que 250 membres de leur mouvement en Charente Maritime. Echappent provisoirement à cette traque, le Général Bruncher et aussi le Commandant Thibaudeau et son adjointe Françoise qui doivent abandonner leur domicile pour se réfugier chez des amis sûrs. C'est grâce à Louis Bouchet, selon le témoignage du Commandant Thibaudeau, qu'une famille menacée, peut-être celle même du chef départemental, échappe à l'arrestation.
Selon Henri Gayot, sur les 78 ou 80 détenus du Mouvement O.C.M. de Charente Maritime, jugés à Bordeaux, 21 sont condamnés à mort et exécutés, 38 seront déportés, 3 emprisonnés et 16 seulement seront libérés.Toute l'organisation O.C.M. et A.S. du département est démantelée.
Continuer le combat
La dureté de la répression, la perspective d'une victoire alliée désormais probable et surtout l'instauration au début de 1943 du S.T.O. (Service du Travail obligatoire), tout concourt à affermir la détermination des Résistants et à détourner du régime vichyste ceux qui y étaient encore attachés.
La Résistance de Charente Maritime va donc se reconstituer dès le mois de novembre 1943. Le Commandant Thibaudeau prend la relève du général Bruncher comme chef départemental. Son adjointe, Françoise, assure les liaisons avec le colonel Vignault, alias «Camplan», nouveau responsable de l'O.C.M. à Bordeaux, après l'arrestation de Grandclément.
Louis Bouchet remplace Thibaudeau comme chef de la zone dont dépendent les cantons de Marennes, la Tremblade, Royan, Cozes et Saujon. Un état-major est constitué avec, à sa tête, le Commandant Parizet, le capitaine Carton et André Torlois.
Ainsi réorganisée, la Résistance locale peut poursuivre, toujours dans des conditions très difficiles, ses activités de propagande, de renseignements, se livrer à des actes de sabotage ou au sauvetage d'aviateurs alliés, à bord d'appareils abattus par les Allemands.
Depuis le mois de septembre 1943, les gardes-forestiers, Francis Lagarde et François Bouzigues, dit Roger, recrutés par Provost, de Saint-Palais dit «Fil de Fer», collectent, dans la forêt de la Coubre, des renseignements précieux sur les positions allemandes, les effectifs, le nombre de pièces d'artillerie etc... Le 26 octobre 1943, le bateau-drague du port de Royan est saboté et rendu inutilisable par le groupe Franck Lamy, du réseau Louis Bouchet. En janvier 1944, un garage, réquisitionné par l'occupant est incendié. Les fils téléphoniques sont sectionnés entre Saint-Georges et le fort de Suzac.
En décembre, des tracts et des journaux rapportés de Paris par Calixte Teillet, agent de liaison O.C.M. sont diffusés à Royan, contribuant à amplifier la rupture entre l'opinion et l'armée d'occupation de plus en plus exécrée.
Au début de 44, Jacques Péraudeau, du groupe «Louis», effectue le relevé des champs de mines et des rampes de V.4 dans tout le secteur côtier.
Avec l'intensification des bombardements alliés, des avions anglais ou américains sont abattus. Il arrive que des Résistants parviennent à recueillir des membres des équipages sauvés par leurs parachutes et à leur faire regagner l'Angleterre.
Ce fut le cas, au tout début de janvier 1944, où quatre aviateurs américains, ayant sauté d'un appareil abattu au-dessus de la région de Pisany-Saujon, sont recueillis par des paysans. Le docteur Michel Boucher, prévenu, alerte Louis Bouchet, qui part de Royan, de nuit, avec Joël Renauleaud, au volant de son camion P.32, pour les récupérer. Le retour vers Royan est très mouvementé. Au poste de contrôle de Médis, ils décident de ne pas s'arrêter et ne sont pas pousuivis. Arrivés au centre de Royan, un grand nombre de soldats allemands sortent d'une séance de cinéma au Casino. Désireux de s'épargner l'effort de regagner à pied leur cantonnement, plusieurs se hissent à l'arrière du camion et sur le marche-pied. Que se passera-t-il s'ils découvrent les passagers clandestins, cachés parmi les fûts, sous une bâche ? Après avoir remonté toute la rue du Château d'Eau, Joël arrête son véhicule et invite fermement les Allemands à descendre. Ceux-ci obtempèrent sans discuter et les aviateurs trouvent enfin un abri sûr chez les Ferrero, 14 rue du Chay, où quelques mois plus tôt, s'étaient réunis les chefs de la Résistance de Charente Maritime. Durant leur séjour qui dura plus de 15 jours, avec les risques que l'on imagine, pour tous les participants, Jean Bujard, neveu de Louis Bouchet, qui avait à l'époque, une vingtaine d'années, raconte qu'ils reçurent la visite du Commandant Thibaudeau et de Françoise. Pendant ce temps, Louis Bouchet s'occupe de trouver une filière pour que ses «hôtes» puissent gagner l'Angleterre. Selon H. Gayot, ils furent finalement remis par Gadreau, transporteur, de Corme-Royal, au maquis de Reignac de Blaye, qui assura leur évasion. en Grande-Bretagne. Quelque temps après, raconte Jean Bujard, un message de Londres faisait savoir à tous les participants de leur sauvetage que « les oiseaux étaient rentrés dans leur cage ».
La Traque
Avec de telles interventions, et à son niveau de responsabilité, Louis Bouchet courait des risques énormes, alors même qu'au début de 1944, une nouvelle répression sévissait dans le département : le 20 janvier 1944, à Saint-Jean d'Angély, Georges Texier, chef de la zone nord, est abattu en cherchant à échapper à la Gestapo ; son adjoint André Brisson, arrêté, décède peu après avoir été relâché. De nombreuses arrestations ont lieu à Saintes, Saint-Savinien, Gémozac. A Pisany, le docteur Michel Boucher tombe également.
L'étau se resserre autour des principaux responsables de la zone de Royan et Louis Bouchet est arrêté chez lui par la Gestapo, le 9 février 1944, au matin. Selon le Commandant Thibaudeau, il aurait reçu l'ordre de l'état-major départemental, quelques jours auparavant, de quitter son domicile et aurait fait la réponse suivante : « Je ne puis quitter ceux qui m'ont fait confiance. Si quelqu'un doit se sacrifier, c'est moi.». On comprend sa réaction, songeant à sa famille et à tous les membres de son entourage, exposés à des représailles. Son frère Paul est arrêté en même temps que lui. Paul Bouchet était au courant de tout et partageait les options de résistance de Louis, mais ce dernier avait pris soin de le laisser en retrait, ce qui lui permit de prendre la relève, après la disparition de son ainé.. L'arrestation des frères Bouchet causa un choc certain dans la population royannaise : en témoignent plusieurs lettres conservées aux Archives départementales, dont une du Président de la délégation spéciale, le colonel Rouquette qui faisait office de maire. Datée du 11 février et adressée au Préfet de Charente Maritime, elle commence par cette phrase : « J'ai l'honneur de vous rendre compte des arrestations qui ont eu lieu avant-hier matin et qui ont eu un profond retentissement dans la ville de Royan.» Arguant ensuite des difficultés de ravitaillement pouvant résulter de la fermeture du commerce d'alimentation de la Maison Bouchet « vieille de cinquante ans et très honorablement connue dans toute la région », il ose réclamer que « l'un des deux frères puisse au moins revenir gérer ce commerce». Il est inutile de préciser que les motifs de l'arrestation n'avaient pas été communiqués par la police allemande à l'administration française.
Début mars, furent arrêtés aussi René Carton, Victor Parizet, Franck Lamy, André Torlois. Ainsi se trouvait décapitée l'organisation résistante du secteur de Royan.
Les deux frères Bouchet furent internés à Lafond, la prison allemande de la Rochelle, de sinistre mémoire. Ils subirent les interrogatoires avec les méthodes en usage. Roger Prémont, arrêté le 9 février à Puyraveau (Saint-Palais) et détenu lui aussi à Lafond, a décrit dans un récit déposé au Musée de Royan, les méthodes du « grand Pohl », le chef de la Gestapo de Charente Maritime. Il témoigne que Louis Bouchet fut interrogé plusieurs fois et torturé car, écrit-t-il, « les détenus le voyaient revenir de l'interrogatoire, marchant difficilement.» Paul fut libéré le 16 avril, après un mois de détention. Il n'en fut pas de même pour Louis sur qui pesaient des charges beaucoup plus accablantes et qui avait été identifié par la Gestapo comme l'un des responsables de la Résistance en Charente Maritime.
L'adieu
N'ayant fourni aucun renseignement pouvant être utile à l'occupant, Louis Bouchet fut transféré à Compiègne, puis déporté dans l'un de ces nombreux convois qui quittèrent ce centre de regroupement, emmenant leurs passagers vers l'enfer des camps.
Il fut d'abord dirigé vers Neuengamme, près de Hambourg, puis transféré, probablement au début de juillet 1944, à Oranienbourg-Sachsenhausen, non loin de Berlin, où il «séjourna» jusqu'en février 1945, sous le n° 84146. De ce camp parvinrent à sa femme deux courtes lettres écrites en Allemand, sans doute par un co-détenu ou un gardien. Il disait qu'il allait bien et réclamait du courrier, des colis et même des mandats. Mais ni les réponses, ni les colis ne sont jamais parvenus à leur destinataire et la dernière lettre que lui adresse sa femme lui revient avec la mention « retour à l'envoyeur ». Un de ses co-détenus, Paul Cep, dans une lettre adressée, après la guerrre, à Madame Louis Bouchet, le décrit comme encore « débordant de vie », bien qu'il ait été affecté au block 44, celui des tuberculeux.
C'est là qu'un autre détenu de Sachsenhausen, René Besson, résistant royannais appartenant au groupe Germain, affirme être entré en contact avec lui : « Tous les soirs, au retour de mon Kommando, je m'arrangeais pour lui rendre visite par une fenêtre (sic). Je travaillais comme mécanicien auto, mon métier, et je pouvais lui rapporter des bouts de tissus pour faire des « chaussettes russes »... Une autre fois, c'est lui qui m'a montré la photo de Royan bombardée dans un journal oublié par un S.S *... Et puis, un jour, il m'a annoncé qu'il était question que ceux de son block partent « en transport », ce qui signifiait un changement de camp... Un jour, à mon passage, j'ai trouvé son block vide. » En effet, Paul Cep indique que, en février 1945, à l'approche de la défaite de l'Allemagne, Louis Bouchet et lui-même firent partie d'un contingent évacué vers le camp de Bergen-Belsen, près de Hanovre où furent alors rassemblés des dizaines de milliers de déportés malades, venus des autres camps.
Puis, avant-dernière étape de cette terrible errance, le camp de Politz (désigné aussi sous le nom de Messentin), au nord-ouest de Stettin, en Pologne, où des conditions de vie effroyables épuisèrent les dernières forces de cet homme de 53 ans qui, selon son compagnon de captivité, fut atteint de dysenterie. Enfin, on devine l'agonie, qui commença en avril 1945 avec l'évacuation des survivants du camp, exténués et malades, sous la garde de leurs tortionnaires, harcelés par l'avance des Russes, et s'acheva, sans doute, au bord d'une route, quelques semaines à peine avant la victoire alliée, le 8 mai 1945, une victoire pour laquelle Louis Bouchet avait donné sa vie et dont il n'avait certainement jamais douté.
Promu au grade de capitaine, à titre F.F.I., Louis Bouchet a reçu à titre posthume, la médaille de la Résistance Française le 5 décembre 1946 et a été élevé au grade de chevalier de la Légion d'Honneur , le 5 mai 1950.
A Royan, une avenue et une Ecole portent le nom de Louis Bouchet.
« Tous ceux qui l'auront méritée ne verront pas la grande récompense. Elle n'en sera pas moins celle qu'ils ont souhaitée et préparée » Marc Bloch
Marie-Claude Bouchet
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