Vignon, Jean-Paul
Certaines traditions ont la vie dure, surtout si on est bercé pendant toute sa jeunesse par les récits et les chants d'un grand-père marin - lequel vécut la prestigieuse chanson de geste des derniers grands voiliers - et que l'on use ses cahiers de lycéen à griffonner des bateaux et à les construire, sans que cela soit une simple fin en soi. C'était pour lui le moyen le plus évident d'aller sur l'eau, afin de prolonger une tradition bien ancrée et de la faire partager : il y avait déjà de fortes chances que ce virus-là ne guérisse jamais.
Au milieu des années 60, l'été dans la baie de Saint-Georges-de-Didonne, baigneurs et dériveurs sont bien surpris de voir évoluer parmi eux, des modèles de voiliers qu'il construit et qui sont de moins en moins réduits. Ces années le voient renouer effectivement avec la pratique de la voile, par le biais des Caravelles, Zef et Ponants rouges de l'école de voile de Royan, époque bénie ou les séances de stage duraient huit heures mais ne suffisaient pas à prolonger le jardin des mers de son enfance normande. C'est la lecture du récit du voyage de Joshua Slocum qui détermine le cheminement de ses projets maritimes. II naviguera désormais sur des bateaux de sa propre facture.
Ainsi parallèlement à sa vie, d'écolier, d'étudiant, et de salarié dans diverses activités : technicien, chargé d'affaires en bureau d'études, enseignant de l'éducation nationale, moniteur skipper, il occupe son temps libre à concevoir et construire des voiliers et à les utiliser... Cela va de la navigation côtière aux périples hauturiers qui, tous sillages confondus, dépassent aujourd'hui 100 000 milles, parcourus en Atlantique Nord entre l'équateur et le cercle polaire.
Il conçoit Clymène à seize ans, petite bombe hybride de 16 pieds, rassemblant les innovations « tabarlyennes » du moment, qui de sa quille heureusement relevable laboure plusieurs étés le lait de vase et le dur clapot de la Gironde avant de s'aventurer jusqu'aux îles Scilly en 1974.
Vient ensuite Satanite, Objet Voguant Non Imitable de 25 pieds avec lequel en 1981-82 accompagné de son épouse Geneviève ils accomplissent un grand huit à travers l'Atlantique Nord, de la Norvège aux Antilles en passant par les îles du Cap vert, New York la Nouvelle Ecosse, et les Açores. Par la suite, c'est à son bord que leurs enfants Jean-Yvon et Romain humeront très tôt l'air du large.
Tarapaca est le nom du 4 mats carré sur lequel le grand-père doubla le Cap-Horn en 1910. Son histoire traverse celle de la région puisqu'en 1901 il coula accidentellement dans le sas d'entrée du port de La Pallice et qu'en 1917 il fut coulé définitivement par un U-Boot allemand et gît désormais par 120 mètres de fond à 65 milles à l'ouest du Phare de la Coubre.
Son nom refait surface par une soirée glaciale de février 1996, où l'on n'avait jamais tant vu de monde sur les quais du port de Meschers-sur-Gironde pour assister sous la pluie, à la mise à l'eau de Tarapaca, voilier de onze mètres d'une nouvelle génération désormais vouée à la plaisance. Après une décennie de gestation au hameau de Serres près de Meschers-sur-Gironde, où l'on a pu assister au milieu d'une prairie, à la naissance d'une curieuse plante d'aluminium : le Tarapaca.
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