Vie nocturne

1950. Sur la plage de Nauzan, à Vaux-sur-Mer au nord de Royan, l'actuel restaurant La Maison Blanche était à l'époque une simple cabane !

 
Altitude0 Aerienne

Naissance de l'Altitude Zéro
par Gustave Lormeau

De retour d'Indochine en juin 1947. Je vais à Nauzan et participe avec des amis de longue date à des rallyes automobiles où les pièges de chaque étape nous faisaient découvrir à fond la côte et l'arrière-pays. Cela se terminait traditionnellement au pavillon de Rohan où la remise des prix, l'apéritif et le dîner se déroulaient en une soirée dansante jusque tard dans la nuit.
Là, officiait Freddy Nicolas comme barman, il travaillait pour payer ses études. Sa gentillesse, sa culture, son service parfait en faisait un personnage apprécié par tous les clients.
Ma mère, à l'époque, résidait moitié à Paris, moitié dans notre villa de Nauzan. Allant à la villa pour passer Noël avec elle, j'aperçu de la terrasse des objets insolites à l'autre bout de la plage sous le pavillon de Rohan.
Arrivé sur place, j'y découvre Freddy, ayant posé un plan sur le sol avec des cailloux dessus pour éviter qu'il soit enlevé par le vent et en train de tracer au sol un arc de cercle d'une quinzaine de mètres.
Lui demandant ce qu'il faisait, il me répondit :
"Une boite de jazz" (c'était la grande mode à l'époque).
Je lui demande avec qui il veut faire cela...
"Mais tout seul."
"Je reste 10 jours ici, veux-tu que je te donne un coup de main?"
"Ah! Cela volontiers. Tu prends le compas et l'équerre et on trace."
"Là non, Fred, je ne vois rien et suis maladroit comme il n'est pas possible... par contre comme manœuvre avec pioche, pelle et brouette, je peux t'aider."
"Hé bien cela va bien m'aider car pour moi c'est le travail le plus pénible." C'est ainsi que j'ai creusé les tranchées pour les fondations de l'arc de cercle puis gâché le ciment pendant que Fred montait le mur de soutien.
À mon départ, le gros œuvre était debout, à Pâques l'Altitude Zéro était pratiquement fini, la décoration presque terminée.
Se présente alors le problème de l'animation et, Fred sachant que je dansait au Vieux Colombier chez Claude Luter sur de la musique de la Nouvelle Orléans m'explique qu'il n'y connait pas grand chose, je lui propose de l'aider et finalement il me charge de m'occuper de la discothèque du club.
Comme j'étais très ami avec Claude Luter, je lui dis que pour l'ouverture de l'Altitude zéro sa venue ferait bien dans le tableau.
"Formidable !", me dit Fred, "si tu arrives à le convaincre c'est le succès assuré dès le départ". Claude Luter étant ravi de venir au bord de la mer, l'affaire fut conclue. Le moment venu, Claude arrive à la villa avec l'orchestre. Petit inconvénient : pas de salle pour répéter. Qu'à cela ne tienne, piano et batterie dans le salon avec Claude. Le banjo, la trompette et le trombone trop à l'étroit, jouent dans la salle à manger, fenêtres ouvertes.
Ma mère, revenant de la plage d'où l'on entendait cette musique de sauvage reste éberluée de voir que cela vient de chez elle qui n'apprécie que le classique. Claude s'excuse, on cherche un compromis.
L'après-midi, nous allons à l'Altitude Zéro car l'inauguration est à la fin de la semaine.
Deux problèmes : Fred ayant mal compté n'a plus de sous pour avoir une cave. Normal car il a payé la discothèque... Il me vient une idée, je lui conseille d'ouvrir le bar tout de suite, je viendrais avec un carnet qu'il mettra à mon nom et mille francs sur ce compte. Lorsque j'arrive, je commande et fais mettre la consommation sur mon carnet en déduction de ce qu'il y a dessus.
Lorsque le soir arrive, je passe commande et dis haut et fort à Fred "Tu me dis ce qu'il y a encore de crédit sur mon carnet...".
Tous les copains snobs comme pas deux trouvent la formule épatante "il est très smart d'avoir un carnet chez Fred". À l'inauguration, la cave était pleine et réglée cash. Mais un autre problème se pose : il n'y a pas de piano. Le lendemain, je dis donc au chef de l'orchestre de prendre celui du salon.

C'est ainsi que ma mère revenant du marché et regardant par la fenêtre de la salle à manger me dit : "Viens voir! Ces gens sont fous ! Ils promènent un piano sur la plage."
Lorsqu'après le déjeuner, nous passons au salon, ne voyant pas le piano en ouvrant la porte, ma mère me dit : "Ils ont enlevé la batterie, cela va mieux..." puis une fois la porte refermée "mais où est le piano ?..."
Le fait de ne plus avoir les musiciens dans la villa a finalement fait passer la pilule.
À l'inauguration, tout le gratin de Royan et Pontaillac était là et l'Altitude Zéro fut la première boite de la côte et la plus côtée jusqu'à la construction de La Grange où Freddy passa la main.

 
Altitude0

Collection. Didier Élie

 

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