Extrait : Où sont nos hivers d'antan?
De ces hivers rutilant des baies du houx et des cynorhodons de l'églantier. De ces hivers dorés comme la fumée sortant des « huguenotes » qu'on rapportait du four du boulanger et qui, dans leurs flancs rebondis, dissimulaient les trésors du savoir-faire culinaire de ma grand-mère Émilienne.
Les jours de l'hiver n'étaient pas blafards et tristes mais sonores et colorés. Le bois sec qui « pétait » en myriades d'étincelles dans l'âtre de pierres cendrées, les flammes hautes comme des lis de couleur, le grillon invisible échappé du fournil du père Poirier, et qui était venu passer l'hiver chez nous, caché entre deux poutres du plafond, juste là où pendait le reste du jambon de l'an passé, étaient comme autant d'éléments du blason familial.
On tuerait le cochon dès le premier grand froid, afin que la viande « caille » bien, en janvier ou février.
Où sont nos hivers d'antan ?
On se réveillait dans le petit matin encore noir. La chambre était entourée de silence, comme un tombeau. La buée sur les vitres, où le gel avait dessiné des forêts de givre, nous empêchait de voir que durant la nuit la neige avait tout recouvert. Le paysage figé n'était plus qu'une page blanche où une main mystérieuse avait tracé à coups de fusain l'esquisse d'un dessin d'artiste.
Ce n'était plus le moment de « lambiner ». Vite sauter à bas du lit, faire une toilette de chat à l'eau froide, distribuée par une « cassotte » galvanisée dont chaque goutte éclatait sur la pierre en mille cristaux, avaler le bol de café au lait fumant, posé par grand-mère sur le coin de la table, la tartine trop grosse, disparaissant sous une épaisse couche de crème de lait... à peine le temps de regarder grand-père retirer de la cendre du foyer une drôle de pince à moustache, un fer à friser brûlant qui lui donnait l'allure fière d'un vieux Gaulois comme celui dessiné dans le livre d'histoire de M. Lavisse... Personne ne restait à la traîne. Il fallait vite courir dehors pour voir, pour toucher la neige de l'hiver ! Sur la margelle du puits nous allions déchiffrer l'écriture runique laissée par le piétinement d'une fauvette ou d'une mésange, si drôle avec son béret noir d'écolier vissé sur la tête.
C'est dans ces incantations mystérieuses que nous découvrions le vrai secret de l'hiver chez nous. Tout en bas du jardin le ruisseau avait gelé, emprisonnant dans la glace quelques feuilles et brins d'herbe. On aurait dit la plombière que l'été mes parents m'emmenaient manger le soir à la terrasse de chez Tamisier, à Royan.
Ce n'était pourtant pas le temps des souvenirs.
La première glissade était certes encore hésitante mais nous avions fière allure dans nos pèlerines de drap noir, retenues au cou par un cache-col de laine aussi rouge que le jabot du rouge-gorge. Le moment était venu des arabesques. Celles dessinées par le gel sur une toile d'araignée qui barrait encore le chemin, celles que nous tracions en sabots ou en galoches, dans les fossés pleins de neige. On enfonçait parfois jusqu'aux genoux, mouillant des chaussettes qui mettaient des heures, le soir, à sécher en fumant, suspendues à la barre de cuivre de la cuisinière.
Lointaine était l'école. Les merles en sarrau noir avaient beau claquer du bec pour nous rappeler à l'ordre, c'était l'empreinte fraîche d'un renard qui, cette nuit, avait dû rôder autour du poulailler. Flambeau avait d'ailleurs aboyé durant des heures et cela nous avait servi de première leçon de choses.
Saintonge dorée, Saintonge bleue, Saintonge verte, d'écume et d'argent, de neige et de sable, tes hivers me font toujours chaud au coeur. Ils étaient le temps de mon enfance. Celui aussi de la « rôtie » brûlante qu'on savourait au matin dans un verre de Bernache, de la locomotive du P.O. « brûlant » la gare où je suis né.
Des hivers de cannelle et d'armoise amère dont le parfum, aujourd'hui encore, demeure bien plus fort dans la mémoire que celui de la madeleine de M. Proust !
Extrait de Mes Saison en Saintonge, anecdotes, histoires, conseils et humeur
de Michel Lis "Le Jardinier" aux Editions Bonne-Anse