Festival Plein Sud
Georges Dupont, Avril 2002
Comme l'air chaud du désert nous envoie l'image illusoire et éphémère d'une oasis à l'horizon, tous les ans, fin mars, début avril, se produit dans la petite ville de Cozes, près de Royan, un phénomène tout aussi remarquable : un village africain au grand complet surgit miraculeusement de terre et déploie ici sa vie colorée et bruyante l'espace d'une dizaine de jours, après quoi il disparaît comme il était apparu, mais pas tout à fait sans laisser de traces, car son souvenir persiste dans nos âmes de Charentais jusqu'à son retour la saison suivante.
Cette fois, ce n'est pas un mirage mais bien une réalité depuis qu'a été fondé il y a douze ans le Festival Plein Sud de Cozes, ville jumelée, sur l'initiative de quelques enseignants de son collège, avec Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Mais ce n'est pas seulement ce petit pays enclavé entre le Mali, le Niger, le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d'Ivoire, mais l'Afrique francophone entière, et même les Antilles et Haïti, qui sont de la fête.
Le village africain de Cozodougou, le nom qu’il porte durant sa courte existence annuelle en Charente-Maritime, n’apparaît sur aucune carte de France, et pourtant il est plus vivant que bien des villages et des lieux-dits reconnus par notre géographie. Il résonne des bruits de ses artisans, le ferronnier qui façonne d’admirables objets avec du métal de récupération, le sculpteur qui crée des chefs d’œuvres d’art plastique avec de vieux vélos ou l’autre qui transforme les bidons d’essence en ornements exquisément ciselés, le fabricant de jouets dont la matière première est des fils de fer et des boîtes de conserve, le potier qui fait des miracles lorsqu’il tourne sa pâte, le tailleur qui travaille sur des tissus étincelants de couleurs, le faiseur de batiks qui peint des scènes de village où l’on croit voir les femmes bouger sur la toile.
Tous ces artisans – ces artistes – d’Afrique animent des ateliers où les enfants des écoles de Cozes et des environs s’initient à leurs techniques.
Le village comprend des espaces spécialisés, dont l’un réservé aux organisations non-gouvernementales actives dans le Tiers-monde, ou cet autre, plus ludique, où l’on peut apprendre à jouer aux nombreux jeux de société dont les Africains se divertissent le soir sous l’arbre des palabres. Mais le festival Plein Sud n’est pas seulement une fête folklorique, c’est une manifestation culturelle de première importance. Pour le cinéma africain, dont les cours métrages font ici l’objet d’un festival dans le festival, et dont un des meilleurs longs-métrages est présenté par son réalisateur, cette année le Malien Cheick Oumar Sissoko avec son film «Guimba», l’histoire envoûtante d’un dictateur local du XIXe siècle, habillé d’images somptueuses.
Et aussi, pour le théâtre, la musique, la danse du continent noir qui nous en révèle toutes les richesses et la magie. Et peut-être, par-dessus tout, pour la littérature et la poésie, dont l’Afrique délègue à Cozes chaque année ses représentants les plus prestigieux. Chaque édition du Festival s’articule sur un thème. Cette année-ci, les migrations et l’immigration. En 2001, les droits de l’homme et la liberté d’expression.
En 2000, l’agriculture : le Festival avait invité des paysans africains à rencontrer leurs homologues charentais, la confrontation de la houe et des moissonneuses batteuses géantes. Dialogue fascinant. En marge des activités propres du Festival se tient, sous les vielles halles en bois de Cozes, un marché africain que rythment les battements de djembés et qu’enveloppent les parfums de la cuisine africaine.
En quelque sorte l’apothéose de cette manifestation est le concert de clôture où se produisent les plus grandes vedettes africaines de la chanson. Cette année, Youss Banda du Congo et Femi Kuti du Nigeria, avec son groupe The Positive force.
Beaucoup des 1800 habitants de Cozes s’investissent profondément dans cet événement. Les familles cozillonnes et burkinabés s’échangeent leurs enfants au moment des vacances, pour l’enrichissement des unes et des autres. Pierre Dumousseau, ancien prof d’anglais au collège de Cozes, qui depuis a fait une superbe carrière de baladin et de conteur, et qui voyage souvent au Burkina, raconte qu’à Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays, il a été interpellé par deux gamins qui lui ont demandé : «T’es français ?» . «Oui». «Alors de Cozes ?» Merveilleux, non, la géographie de la France réduite, dans l’idée de ces petits noirs, à deux points sur la carte de l’hexagone, sa capitale et une petite ville de province que même les Français dans leur presque totalité ne connaissent pas !