La genèse du Festival

Vue aérienne du Front de Mer et du Casino Municipal Vue aérienne du Front de Mer et du Casino Municipal

Le contexte Royannais au début des années 60

Une station en perte de vitesse

La décennie 50-60 a vu naître, après bien des péripéties,unecité nouvelle, saluée comme une réussite de l'architecture « moderne ». En 1961, le Casino Municipal vient mettre le point d'orgue à la réalisation du Front de Mer. L'élan apporté à l'économie et à la vie sociale s'essouffle après le départ des architectes et entreprises de la Reconstruction. Le commerce souffre d'une trop longue «morte-saison».Faute de perspectives, les jeunes quittent la ville et la population stagne à un peu plus de 17 000 habitants. Après un redémarrage prometteur, les perspectives du tourisme s'assombrissent, elles aussi, face à la concurrence des stations du Midi de la France. La clientèle mondaine ou fortunée a déserté Royan et les grands hôtels ferment les uns après les autres.

Les solutions apportées par la municipalité

L'équipe municipale élue en 1959, consciente des problèmes, nomme le docteur Bernard Gachet responsable de l'action culturelle et des congrès et Claude Fricaud-Chagnaud, directeur de l'Office du Tourisme. Plutôt que son architecture, les atouts naturels de Royan sont mis en avant, ainsi que ses équipements sportifs, tout récemment complétés par un centre équestre, une piscine et la construction d'un port de plaisance. Cette politique est résumée dans le slogan adopté en 1962 par l'Office du Tourisme, Royan, ma plage. Puis, le Palais de Foncillon accueillant de nombreux congrès, la ville communique sur une nouvelle image : Royan, ville d'accueil et de congrès.

Quant à l'action culturelle, une bibliothèque municipale est créée en 1955 et un musée associatif voit le jour en 1964, sous l'impulsion de Robert Colle. L'initiative privée ou associative se déploie de façon sympathique mais avec des moyens modestes : Ciné-Club depuis 1954, expositions d'artistes locaux, organisation de concerts au Casino Municipal par une section locale des « Jeunesses Musicales de France ». Royan manque cependant de manifestations culturelles d'envergure, alors que la France vacancière vit déjà, depuis plusieurs années, à l'heure des grands Festivals : cinéma à Cannes, théâtre en Avignon, musique à Aix-en-Provence...

C'est pourtant dans ce domaine de l'Art et de la Culture que l'Office du Tourisme de Royan prend, en 1963, l'initiative la plus audacieuse.
Bernard Gachet, Président délégué de l'Office du tourisme, avril 1964 : « Royan, station balnéaire et climatique, déjà classée sur le plan international pour son urbanisme et son architecture modernes, doit tenter d'obtenir également un classement de même valeur sur les plans intellectuel, culturel et artistique. Il apparaît donc que la création d'un festival artistique de grande portée internationale serait favorable à la réputation de Royan, qui pourrait ainsi prendre place sur la liste des grandes stations.

Bien entendu, un festival de cet ordre ne peut qu'être d'art contemporain, pour s'accorder parfaitement avec l'architecture de la ville.
Aussi bien, avons-nous proposé dans cet esprit au Conseil Municipal, dès octobre 1963, la création d'une Semaine Internationale d'Art Contemporain, et l'Amiral Meyer a-t-il reçu l'approbation unanime des conseillers municipaux sur ce projet [...] »

Ce festival, organisé pour la première fois en France, ­-- seule existe actuellement sur le plan européen une semaine de musique contemporaine en Allemagne, courant septembre -- a reçu l'appui des plus hautes personnalités artistiques. C'est ainsi que M. André Malraux, Ministre d'État chargé des Affaires Culturelles, dans une lettre adressée à l'Amiral Meyer, trouve « cette initiative du plus grand intérêt pour notre pays, comme pour la ville et sa région » et ajoute « C'est donc bien volontiers que je vous autorise à vous réclamer de mon patronage ».

La Semaine Internationale d'Art Contemporain de Royan

Couverture du programme de la Semaine Internationale d'Art Contemporain de RoyanLe programme musical de la Semaine Internationale d'Art Contemporain de Royan, en juillet 1964 :

  • Dimanche 3 juillet : Récital d'orgues par Jean Guillou, sur l'orgue de Notre-Dame, mis en place au printemps 1964.
  • Lundi 6  juillet : Concert de musique de chambre par le Quatuor Parrenin.
  • Mercredi 8 juillet « Introduction à la musique contemporaine », conférence avec illustrations sonores par Claude Samuel.
  • Vendredi 10 juillet : Concert par l'Orchestre Philarmonique de la Radio Télévision Française, sous la direction d'Eleazar de Carvalho, avec le concours du pianiste Philippe Entremont, au Casino Municipal.
  • Samedi 11 juillet : Concert par les Chanteurs de Saint-Eustache de Paris,  avec Jean Guillou à l'orgue.

Jean Hamon, Extrait d'un article du journal Combat, cité dans le Bulletin Municipal n° 8, p. 31-32 : « [...] La semaine de Royan, en ce qui concerne la musique, a décidé de se vouer aux œuvres contem­poraines, de Debussy à l'avant-garde. Certes, cette année, elle n'est pas assez connue pour attirer les foules mais elle mérite déjà que, dès l'an prochain, tous ceux qui s'intéressent à la musique vivante se donnent rendez-vous à Royan. Je reviens de ce Festival nouveau convaincu qu'il doit survivre. Que ses promoteurs ne se découra­gent pas. Leur idée est la bonne... et rendez-vous à l'année prochaine car le jeu en vaut la chandelle ! ». 

Une nouvelle équipe municipale 

Entre temps, une nouvelle municipalité s'installait, issue des élections du printemps 1965. Le Maire, Jean-Noël de Lipkowski, allait mettre son poids politique et ses relations parisiennes au service d'un festival capable de donner un nouveau souffle à la station charentaise.

Les créateurs et les animateurs

Bernard Gachet

Bernard Gachet, Président-fondateur du Festival International d'Art Contemporain de Royan entre 1964 et 1977

En 1964, Bernard Gachet présente les grandes lignes de ce qui deviendra le Festival d'Art Contemporain de Royan : « La Semaine Internationale d'Art Contemporain de Royan, consacrée aux moyens modernes de création et d'expression artistique, consistera en l'organisation d'un certain nombre de spectacles répartis sur toute une semaine et d'expositions pour la durée de la saison. Tous les aspects de l'Art Contemporain seront évoqués lors de ces manifestations : Musique - Danse - Théâtre - Arts plastiques - Cinéma - Télévision - Architecture - Littérature... 

Prévue pour être renouvelée chaque année, la Semaine Internationale d'Art Contemporain comportera l'organisation de concerts de musique contemporaine (orchestre de musique de chambre, orchestre symphonique) de manière à créer un lien constant entre les festivals successifs. En outre, chaque année, un nouvel aspect de l'art contemporain sera présenté, soit danse, soit théâtre, soit cinéma, télévision, arts plastiques... »

Bernard Gachet est né le 27 mars 1927. En 1956, il s'installe à Royan, dont il apprécie l'architecture, et s'intéresse à l'art contemporain. Élu conseiller municipal en 1959 sur la liste conduite par l'Amiral Meyer, il est nommé vice-président de l'Office municipal de tourisme, créé en 1962.

En octobre 1963, Bernard Gachet propose la création d'une Semaine Internationale d'Art Contemporain, qui se déroulera du 5 au 11 juillet 1964. C'est à cette occasion qu'il fait la connaissance du critique musical Claude Samuel, rencontre décisive car c'est d'elle que naît le projet de créer à Royan le premier Festival de musique contemporaine en France. La date est fixée à Pâques, afin de permettre aux étudiants et enseignants d'y participer. Ce projet reçoit immédiatement les parrainages éminents de Georges Auric, Olivier Messiaen et Maurice Le Roux et, dès 1965, l'O.R.T.F. devient co-organisateur de la manifestation, lui assurant une couverture médiatique importante, à la radio et à la télévision.

Le Festival de Royan est lancé et durant plusieurs années, il connaît un succès croissant dû à la collaboration efficace de l'équipe parisienne (Maurice Werner, administrateur du Festival et Claude Samuel) et des dirigeants de Royan. Après le départ de Claude Samuel en octobre 1972, Bernard Gachet fait appel à Harry Halbreich, pour la direction artistique du Festival, assisté de P. Beusen qui le remplace pour la session de 1977, qui devait être la dernière.

Jean-Noël de Lipkowski et Bernard Gachet sont en effet battus aux élections municipales en 1977. Cet échec du principal artisan du Festival et du Maire qui l'avait soutenu sans réserve porte un coup fatal à une manifestation déjà ébranlée par des problèmes financiers. Le Festival de 1978, dont le directeur artistique devait être le critique musical Maurice Fleuret, est annulé par la nouvelle équipe municipale dirigée par Guy Tétard. Par son dynamisme personnel, son labeur acharné, ses qualités d'organisateur, le docteur Gachet a permis au Festival de Royan de s'affirmer et d'être considéré encore aujourd'hui comme l'un des hauts lieux de la création musicale contemporaine, dans les années 60 et 70.

Bernard Mounier

Extrait de la préface du programme du 10e Festival International d'Art Contemporain (1973) : « Participant du même esprit que les propositions précédentes, le premier séminaire sur «les Musiques d'Asie et d'Afrique», présenté par Maurice Fleuret et rassemblant de nombreux spécialistes, va également solliciter les Royannais. Entre le 10 et le 14 avril, outre les discussions ouvertes à tous, un spectacle gratuit sera donné chaque soir : musique et danse de Bali, musique indienne et vietnamienne, film de la Chine Populaire. Si l'on ajoute à cet ensemble très diversifié les concerts donnés les 15 et 20 avril dans deux églises romanes parmi les plus belles de Saintonge, Talmont-sur-Gironde et Sablonceaux, il apparaît clairement que la volonté des responsables du Festival de créer un événement, non pas uniquement à l'échelle nationale et internationale, mais intégré dans la vie de la cité qui l'accueille, n'est pas une simple affirmation de principe ».

Né à Saint-Jean-d'Angély en 1933, Bernard Mounier a étudié au Collège de cette ville, à la Faculté de Droit et au Conservatoire d'Art Dramatique de Poitiers. Après avoir été Conseiller Technique et Pédagogique (théâtre, animation rurale) à la Jeunesse et aux Sports jusqu'en 1963, il a dirigé successivement : de 1964 à 1983, le Centre Culturel Français de Madagascar, les Maisons de la Culture du Havre et de La Rochelle ; de 1983 à 1994, FR3 Limousin-Poitou-Charentes, les Programmes Nationaux de FR3, France 3 Sud. Depuis 1994, il est auteur-producteur et réalisateur indépendant. Sa filmographie compte quelque 35 documentaires, tournés notamment en Afrique. Maire de Talmont-sur-Gironde de 1995 à 2001, Membre de l'Académie de Saintonge et du Conseil de Dévelop­pement de l'Agglomération de La Rochelle, il est Chevalier de la Légion d'Honneur (Communication) depuis 1992 et Chevalier des Arts et Lettres depuis 1981.

 

Bibliographie : Les Acadiens piétons de l'Atlantique. Ed Lacombe Montréal - Afrique en Créations. Ed. Documentation Française - Talmont-sur-Gironde (avec Michel Guillard). Ed. de Monza - Talmont & Merveilles sur la Gironde. Ed. Bonne Anse - René Val ou la véritable histoire du caviar de la Gironde. Ed. Bonne Anse - Lorsque les gens d'ici découvraient l'Amérique (avec Patrick Henniquau). Ed. Bonne Anse - Gloire aux pilotes de la Gironde. Ed. Bonne Anse.

Dans le cadre du Festival de Royan, il est, de 1970 à 1972, conseiller artistique pour le théâtre, puis exerce à partir de 1973  les fonctions de directeur artistique chargé de l'animation générale, en liaison avec France-Culture et son directeur de la Musique, Guy Erisman. Il entreprend alors d'ouvrir le Festival à un public plus large et plus populaire grâce à une Semaine d'Animation décentralisée dans le département, avant le début du Festival proprement dit. En 1973, cette semaine a pour thème la Chanson Française et les Ethnies, en 1974, Musique et Société en Amérique Latine, en 1975, Musique populaire de Louisiane, Acadie, Charentes-Poitou, en 1976, troubadours et jongleurs de l'an Mil à nos jours. Ce travail d'animation se poursuit en 1977, avec  le premier Festival des Arts et de la Culture, sous la direction de Gérard Descotils : trois mois d'animations décentralisées précédant le Festival d'Art Contemporain de Royan et consacrées à l'Afrique.

Harry Halbreich

Harry HalbreichNé à Berlin en 1931, Harry Halbreich est l'élève d'Arthur Honneger à l'Ecole Normale de musique et d'Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris, dont il sort premier prix d'analyse et d'histoire de la musique. Critique musical et musicographe, il collabore à de nombreux ouvrages collectifs et enseigne l'analyse musicale au Conservatoire Royal de Mons en Belgique. Auteur d'ouvrages sur Martinu (Atlantes Zurich, 1968), Messiaen (Fayard, 1979), Honneger (Fayard, 1992), il est considéré comme l'un des connaisseurs les plus avertis de la musique de notre temps. Au départ de Claude Samuel, il devient le directeur artistique du Festival de Royan de 1973 à 1976, assisté de Paul Beusen. Ce dernier assure seul la direction artistique du Festival en 1977, qui est la dernière édition de la manifestation.

Extrait de la préface du programme du 10e Festival d'Art Contemporain de Royan (1973), signée des deux hommes : « Tourné vers la jeunesse, mais sans exclusive d'état civil, tourné vers la seule recherche fructueuse et enrichissante, celle de l'expression d'un humanisme habité par l'esprit et avide de communiquer, ce Festival jubilaire avec ses 29 créations mondiales et ses 50 créations françaises, ce dixième Festival, où la Musique Nouvelle s'insère au sein d'une richesse sans précédent faite de manifestations de cinéma, de chansons et de musique extra-européenne, se veut l'image à la fois d'un monde inéluctablement orienté  vers l'abaissement de toutes les barrières et d'une création musicale qui, quoi qu'en pensent certains esprits chagrins, se porte admirablement à l'orée de ce dernier quart de siècle. »

Le Comité d'honneur du Festival de 1965 à 1973

Georges Auric (1899-1983) 

Compositeur de renom appartenant au Groupe des Six (Honneger, Milhaud, Durey, Poulenc, Tailleferre), il apporte dès 1965 sa caution au 2e Festival de Royan : l'avant-gardiste de 1930 est intéressé par l'avant-garde de 1965.

Olivier Messiaen (1908-1992) 

En 1965, il est au sommet de sa carrière de compositeur et son œuvre est admirée partout dans le monde.  Le « Quatuor pour la fin des temps » (1941) écrit en captivité et la « Turangalila-Symphonie » (1946) le propulsent au firmament des immortels. Sans lui, sans ses élèves, sans son exemple, le Festival de Royan n'aurait pas connu le même rayonnement. Le Concours de piano qu'il a créé est resté dans toutes les mémoires.

Maurice Le Roux (1923-1992)

Ancien élève de Messiaen, il est à l'époque directeur de l'Orchestre National de l'O.R.T.F., conseiller artistique de l'Opéra de Paris, Inspecteur général de la Musique. Compositeur, connu surtout pour sa musique de scène et de film, il fait tout sérieusement sans jamais se prendre au sérieux. C'est un renfort de poids pour Royan et pour la notoriété du Festival. 

Claude Samuel

Claude SamuelClaude Samuel, en 1969 : « C'est dans cet esprit que la Ville de Royan a lancé en 1964 son Festival International d'Art Contemporain. L'entreprise était audacieuse. Il fallait au milieu des mille et une tendances qui s'enchevêtrent et s'affrontent au sein de la musique depuis quelques dizaines d'années, opérer un choix, indiquer des directions, prendre résolument des options. Le Comité du Festival de Royan, malgré les risques d'une telle décision, a voulu écarter l'équivoque en partant sur les valeurs les plus neuves de l'art musical, celles qui scandalisent aujourd'hui mais qui, demain, représenteront les chances d'un art vivant. Chances d'un art et chances d'une jeunesse qui, voulant dénouer la crise où la musique est empêtrée depuis la fin du siècle dernier, se lance passionnément dans les aventures les plus hardies, les plus insolites, peut-être les plus fécondes. » 

Journaliste et critique musical né à Paris en 1931, Claude Samuel fait des études musicales à la Schola Cantorum de Daniel Lesur. En tant que chroniqueur musical, il collabore dans les années 60-70 à de nombreux journaux et revues et assure jusqu'en 1997 des émissions sur France-Culture et France-Musique en qualité de producteur délégué. Il est directeur artistique du Festival International d'Art Contemporain de Royan de 1965 à 1972, puis des Rencontres Internationales d'Art Contemporain de La Rochelle de 1973 à 1979, et du Festival des Arts de Persepolis de 1967 à 1970. Par la suite, il contribue à la création des Rencontres de Musique Contemporaine de Metz et du Festival des Arts Traditionnels de Rennes. Il est aussi l'initiateur d'actions pédagogiques, comme le Concours Olivier Messiaen, dont les épreuves se déroulent à Royan de 1967 à 1971. Claude Samuel est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment « Panorama de l'art musical contemporain » (1962, Gallimard) et « Entretiens avec Olivier Messiaen » (1967, Pierre Belfond).

Par sa culture et ses relations avec le monde musical en général, il a été pour beaucoup dans le succès continu qu'a connu la manifestation de Royan jusqu'en 1972.

 

En savoir plus : Festival International d'Art Contemporain de Royan 1964-1977 de Henri Besançon aux Éditions Bonne Anse.

 

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