L'homme de lettre
Je rêve de bluets qui seraient des étoiles
Victor Billaud
Victor Billaud a-t-il été un grand poète ? La postérité ne l'a guère reconnu comme tel, et pourtant poète, il l'a été toute sa vie, aimant à se délasser en écrivant des vers quand ses multiples activités lui en laissaient le loisir. L'enfance puis l'adolescence lui ont permis de rencontrer deux poètes, à Saint-Julien de l'Escap, André Lemoyne dont on peut voir le buste à Saint-Jean d'Angély, et Hippolyte Bellet. Dans ses œuvres de jeunesse, Frissons et Brises santones, il chante en vers harmonieux la nature qui l'environne, la verdure des paysages saintongeais, les bords de la Nie et de la Boutonne et plus encore, l'amour de sa femme, la jeune Noëmi.
Les Muses santones
C'est à ce moment que, dans son journal, la Chronique charentaise, il lance un concours littéraire. Devant l'afflux des réponses, il nourrit l'ambitieux projet de réunir tous ces poètes dans une société de 1 000 membres venus de toute la France. Ainsi naît l'Académie des Muses santones. La première séance publique est tenue, le 25 juin 1876, à l'Hôtel de Ville de Saint-Jean d'Angély, la seconde, le 31 août 1877, au casino de Royan. D'année en année, de nouveaux poètes rallient l'Académie et l'objectif des mille membres est bientôt atteint. Parmi eux, Victor Hugo qui écrit deux lettres à Billaud pour le féliciter de son initiative, Jules Verne, Paul Bourget, Jules Laforgue, Frédéric Mistral, Abel Hermant et les deux soutiens, François Coppée et Sully Prud'homme. Billaud publie les vers reçus, dans un bulletin adressé à chaque membre et les réunit ensuite et chaque année dans un volume (18 paraîtront jusqu'en 1895). S'il ne parvient pas, comme il le prétendait, à faire de Royan, le lieu de respiration de la France occidentale, du moins répand-il, dans toute la France, le nom de la cité devenue, grâce à lui, une petite capitale littéraire.
Les poèmes de la maturité
Son talent se révèle dans Le Livre des Baisers qu'il imprime lui-même, en 1879. Poésie bucolique, souvenirs de Virgile ou Théocrite, fraîcheur des tableaux, amour et joie de vivre caractérisent ces poèmes agrémentés d'illustrations raffinées d'Henry Somm. Ce recueil plaît beaucoup à ses contemporains et Billaud se voit figurer dans L'Anthologie de Lemerre, aux côtés de Paul Bourget, Henri de Régnier, Rimbaud et Verhaeren.
En 1901, Lemerre publie à Paris un dernier recueil de Victor Billaud, Jeune Amour. Si ces vers n'ont plus qu'un charme désuet, on ne peut rester insensible à sa très belle Épopée, ensemble de strophes vengeresses écrites pendant la guerre, qui trouvent un souffle épique, digne parfois des accents d'Agrippa d'Aubigné :
L'obus siffle. Le crime est consommé - la flamme
Que l'armée allemande, ivre de sang, acclame,
De l'immense vaisseau monte vers le ciel bleu.
Et l'horrible bûcher de Jeanne se rallume,
Et brûle pour la France, en implorant Dieu.
Cette Épopée (Lemerre et Billaud, 1919), poème saisissant à la farouche beauté, a trouvé sa place dans les bibliothèques scolaires et retient toujours l'attention ainsi que les trois Odes à Eugène Pelletan, Frédéric Garnier, et celle aux Morts pour la France, écrites pour l'inauguration de trois monuments de Royan dont les deux premiers ont disparu sous l'Occupation.
Mais le poète sait aussi avoir la plume mordante quand, de ses traits acérés, il fustige, dans la Gazette, l'adversaire politique avec une ironie féroce. Il se révèle aussi excellent critique littéraire, écrit des préfaces, telle celle qui introduit, en 1934, Devant Cordouan, Royan et la presqu'île d'Arvert, de son ami Paul Dyvorne.
Sa culture était si vaste qu'elle lui a permis de nouer amitié avec les écrivains, compositeurs, éditeurs qu'il a su attirer et faire revenir à Royan. Quant à la qualité de son style, elle peut encore s'apprécier dans les multiples articles dont il a émaillé la Gazette des Bains de Mer ou dans son Guide des Touristes.
En savoir plus : Victor Billaud, Le chantre de Royan de Monique Chartier, aux Éditions Bonne Anse.