Le vrai phare de l'Aquitaine
Détail de l'estampe rehaussée à l'aquarelle, Tour de Cordouan, éditée chez Maurice en 1790.
Médiathèque Michel Crépeau, La Rochelle.
Tout est dit par le Saintais, Nicolas Alain, qui présente la Saintonge à l'enfant-roi Charles IX, au début de septembre 1565 :
De Royan, on voit une tour élevée, bâtie au milieu de la mer, c'est Cordouan, le vrai phare de l'Aquitaine, dont la lampe, allumée au sommet pendant la nuit, indique aux navires la bonne direction et, les avertissant des dangers, les fait entrer au port sans encombre. Le soin d'allumer le feu est confié à deux ermites auxquels, à un signal donné, on apporte, de la ville voisine ou du bourg, des provisions qui sont payées avec l'impôt qu'on prélève pour cela sur chaque navire de Bordeaux .
Chaque nuit, depuis le XIVe siècle, au sommet de la tour du Prince Noir, un feu luit, entretenu par le « religieux hermite ». Depuis la conquête de la Guyenne, le roi, par l'intermédiaire du grand sénéchal de Guyenne, nomme le « chief hermite religieux administrateur » de la « chapelle et tour saincte Marie de Cordouan ». Le phare est géré comme un bénéfice ecclésiastique, avec les mêmes dérives. Le titulaire ou « capitaine » n'est attaché qu'à sa prébende et ne réside pas. Les recettes (300 à 400 livres par an au milieu du XVIe siècle) sont assurées par les taxes perçues sur les navires chargés en Gironde et en Dordogne ; le fermier (un financier bordelais) se charge de tout, aux moindres frais.
Jusqu'au milieu du XVIe siècle, la tour joue d'abord un rôle militaire à cause des incursions des navires espagnols ; elle est au centre d'un système de signaux : « pour tenir le guet, tant de nuict que de jour en temps de guerre si les ennemys entroient en ladicte riviere, et faire les signes acoustumés aux habitans, tant en la coste de Xainctonge que de Medoc ». Le lieutenant général en Guyenne en est donc responsable. L'autre fonction concerne la sécurité de la navigation.
Le Royannais Pierre Belly entretenait le feu du soleil couchant à l'aube et ne rentrait chez lui que trois ou quatre fois par an ; il se contentait de 100 livres par an pour lui et le prêtre qui célébrait une messe quotidienne. En 1555, le système est modifié : « l'Armitte » est remplacé par un capitaine seul, sans prêtre, avec 30 livres seulement pour acheter du bois et des vivres. Après la paix de Cateau-Cambrésis (avril 1559), le phare s'éteint, faute d'argent.
D'autre part, la « tour s'en va grandement ruynée et tumbe en decadance » et « les paulx qui sont es envyrons sont la plus part arrachés par les tourmentes et ventz... tellement que lad. tour est decyppée par dessoubz de la haulteur d'un homme, et si de brief n'est reparée, est en dangier de tumber ». C'est désormais la question récurrente : de lourdes dépenses pour un résultat aléatoire puisque les bases mêmes de l'édifice sont menacées. Les finances publiques sont exsangues, on se contente de consolider les fondations avec du bois qui vient de Libourne, donc du Périgord. Fin 1576, on n'a pas renoncé : le 17 novembre, le procureur général du parlement est autorisé pour cela à faire lever 10 sols sur chaque balle de pastel ou de laine exportées.
Détail de l'estampe d'après Chastillon,
Gravée par Mérian, éditée par Poinsart,
Topographie française de Claude Chastillon, 1641.
Cliché publié avec l'autorisation gracieuse de la Bibliothèque de l'Institut National d'Histoire de l'Art, Paris.
Détail de l'estampe d'après Chastillon,
Gravée par Cocquart et éditée par De Fer en 1705.
Musée Municipal, Royan.
