La tour de Teulère
Détail du fût de la tour. Photo Philippe Souchard.
Joseph Teulère (1750 - 1824)
Homme du siècle des lumières, Joseph Teulère incarne la réussite par le travail. Né dans une famille modeste, orphelin de père dès l'âge de 10 ans, il débute sa carrière à Agen, comme manœuvre maçon au service de l'un de ses frères aînés, avant de gravir les échelons à force de travail, et d'entrer en 1776 au service de la Marine sur concours. Devenu ingénieur, il est d'abord nommé à Bordeaux, puis à Rochefort (1792), avant d'être muté à Nice et de cesser ses fonctions en 1812. Touche à tout de génie, il a conçu des bateaux, inventé un système de réflecteur parabolique, construit des édifices importants, comme l'Etablissement des Vivres de la Marine, à Bordeaux. Mais il est avant tout connu comme auteur des travaux de surhaussement du phare de Cordouan, à la veille de la Révolution.
La tour-château conserve son prestige architectural au XVIIIe siècle mais ne correspond plus aux exigences de la navigation de par sa trop faible hauteur et son système d'éclairage. De plus, Bordeaux est alors de très loin le premier port français et dans le trio de tête des ports européens. La sécurisation de l'embouchure n'en est que plus urgente surtout que « la partie supérieure de la tour menace d'une ruine prochaine ». Les projets de surhaussement de la tour donnent lieu à de longues études qui mobilisent les grands noms scientifiques du moment. Après un véritable concours et des projets tel celui de Jallier, de l'Académie royale d'architecture, le ministre tranche en faveur de celui de Joseph Teulère, architecte d'origine modeste, entré dans les services de la Marine à Bordeaux.
Projets de surhaussement du phare, Jallier, 1786.
Archives Nationales, Paris.
Ce sous-ingénieur chargé des travaux de Cordouan fait de la transformation du phare l'œuvre de sa vie à l'image de Louis de Foix. Cet ingénieur de talent, homme des Lumières, après avoir construit un solide dossier sur les fondations de l'ancienne tour, calculé ses possibilités de résistance, se fixe comme mission de conserver la partie basse de la tour, en sauvegardant la chapelle. Il se pose en véritable protecteur de l'œuvre de Louis de Foix tout en greffant un nouveau phare, plus élevé, fonctionnel mais s'intégrant au bâtiment ancien. Le chantier, réalisé en trois campagnes annuelles et achevé en 1790, est d'une extrême complexité : après la démolition de la partie haute de l'ancienne tour, il construit une tour conique s'appuyant sur la structure ancienne, travail délicat « de raccordements des choses vieilles à conserver pour les lier avec le nouvel ouvrage ».
Total de la dépense de la surélévation
de la tour de Cordouan, 8 février 1788.
Archives Nationales, Paris.
Le surhaussement de soixante pieds pour un phare culminant à soixante-sept mètres, avec sa nouvelle lanterne, fait la synthèse entre l'œuvre surréaliste de Louis de Foix dont l'essentiel est conservé et la fonctionnalité rationnelle de l'époque des Lumières symbolisée par la sobriété élégante de la nouvelle tour, mariage réussi de deux architectures. Et le commissaire de la marine peut en 1790, à l'issue des travaux, exprimer « son sentiment d'admiration pour la perfection de l'exécution, la solidité, la hardiesse des voûtes de l'escalier qui, malgré leur développement et leur légèreté, nous ont paru de la plus grande solidité ». De la même façon, un voyageur Chaumat-Gayet conclut que la restauration « a rendu le monument plus régulier, plus solide et surtout plus utile à la navigation ». La silhouette contemporaine de Cordouan est en place et est restée intacte, meilleure preuve du génie des constructeurs du grand phare.
A gauche : Coupe de la Tour de Cordouan, étude préalable à la restauration du phare.
Michel Goutal, Architecte en Chef des Monuments Historiques de Gironde.
A droite : Plan de la tour de Cordouan en 1850, Chaumat-Gayet.
Musée de Royan.
En savoir plus : Cordouan Roi des Phares de Frédéric Chassebœuf aux Éditions Bonne Anse.