Icône monarchique et touristique
Le phare de Cordouan, Jacques-Raymond Brascassat, galerie l'Horizon Chimérique, Bordeaux. Photo Walid Salem.
De tous les monuments nationaux, il n'en est peut-être pas un seul aussi merveilleux que la tour de Cordouan qui s'élève à l'embouchure de la Gironde.
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Illustrations de la presse quotidienne au XIXe siècle.
Archives municipales, Bordeaux.
Cette phrase introductive, extraite d'un article publié dans un numéro de la France pittoresque de 1837, illustre à elle seule la fascination qu'a exercée Cordouan, avant même que ne s'esquisse les premiers traits d'une véritable histoire nationale et que le phare de Louis de Foix n'endosse son statut de monument historique.
Le Phare de Cordouan, à l'embouchure de la Gironde, d'après H. Bagouet
Magasin Pittoresque.
C'est en premier lieu l'émerveillement face à une incontestable prouesse technique qui préside chez les quelques curieux qui veulent bien faire un détour par Royan pour venir découvrir la tour de Cordouan. Il en est ainsi chez Léon Godefroy, lequel avoue, en 1638, avoir dû braver « cette peste » nommée protestantisme qui règne dans le bourg de Royan, pour pouvoir découvrir la merveille architecturale que constitue Cordouan. Il en est de même en septembre 1669, quand Charles Perrault et son frère Claude, célèbre architecte de la colonnade du Louvre, voyageant de Paris à Bordeaux, font un crochet par Royan pour s'extasier devant cette architecture de l'improbable qu'est la tour de Cordouan.
Avec l'exhaussement que lui fait subir à la fin du XVIIe siècle l'ingénieur Joseph Teulère, la tour de Louis de Foix revêt l'image plus conforme du phare. Elle devient une sorte d'obélisque qui, bien que planté en pleine mer, est capable de résister à toutes les fureurs des éléments. C'est cet aspect plus populaire que vont retenir artistes et écrivains de l'époque romantique. Désormais, l'image gravée de Cordouan n'est plus réservée à une élite capable de décrypter toutes les subtilités d'un étonnant programme monarchique. Détournée, l'ancienne icône des rois se répand dans les journaux pour nourrir un imaginaire sans bornes. Les estampes que ces derniers publient sont destinées à accompagner le rêve des écrivains et de leurs lecteurs, et doivent impérativement suscité l'émotion. À tel point que certains artistes n'hésitent pas à brouiller les cartes en interprétant plus ou moins librement des vues du XVIIe siècle, si bien que le roi des phares est volontiers représenté dans son état originel au milieu d'une mer qui peut se montrer menaçante.
Puis, la mode des bains de mer qui s'empare de Royan et de Soulac, change à nouveau le regard qu'on porte sur Cordouan. L'ancienne tour, bâtie à la gloire de la monarchie, retrouve des lettres de noblesse lorsqu'elle est classée Monument Historique, en 1862, en même temps que Notre-Dame de Paris. Objet de curiosité qui a suscité par la suite le rêve, elle devient désormais un but d'excursions pour les « étrangers » venant en villégiature sur les côtes de l'embouchure de la Gironde. Aux beaux jours, le phare, aussi mystérieux qu'orgueilleux, accepte volontiers d'ouvrir ses entrailles à des touristes, faisant la fortune de passeurs de mieux en mieux organisés. Et c'est ainsi que l'image du vénérable phare de Cordouan change à nouveau et qu'il entre, toujours avec un temps d'avance, dans l'ère du tourisme et des loisirs. La plus belle preuve n'en est-elle pas ces représentations qu'on véhiculait, en 1886 à Paris, pour assurer la promotion de Royan et des trains rapides qui la reliaient désormais à la capitale, à l'instar de toutes les autres grandes stations balnéaires françaises ?
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« Qu'est-ou que j'vois là-bas ?... est-ou possible ?...
ah ! par exemple ! n'en v'là ine forte !..
Il amenant la Tour de Cordouan à Paris !..
Sont-i' jaloux les Parisiens !
o leu' faut tout, tout absolument... »
Croquis de Bartélémy Gautier, Le phare de Cordouan en promenade sur les boulevards de Paris, première page de la Gazette des Bains de Mer, 4 juillet 1886.
Bibliothèque municipale, Royan.
En savoir plus : Cordouan Roi des Phares de Frédéric Chassebœuf aux Éditions Bonne Anse.
