Urbanisme et amateurisme
il m'est pénible de le dire, mais en vérité les premiers colons ont tous gravement péché contre le bon goût, d'abord, contre leurs intérêts, ensuite et surtout, contre l'intérêt général de Pontaillac
Conche de Pontaillac et villa Lacaze, détail, vers 1860
L'évolution urbaine du quartier de Pontaillac se dessine par phases, à partir de 1856 jusqu'à la fin du XIXe siècle. La première porte la marque de son fondateur, Jean Lacaze, qui a laissé son nom à un boulevard. La deuxième, dont témoignent encore nombre de villas, est due à son fils Athanase. La troisième, enfin, est à mettre à l'actif des héritiers Bellamy.
Un urbanisme pragmatique (1856-1870)
La première phase d'urbanisme de Pontaillac débute sans ordre. Athanase Lacaze l'avoue lorsqu'il écrit dans ses mémoires : « il m'est pénible de le dire, mais en vérité les premiers colons ont tous gravement péché contre le bon goût, d'abord, contre leurs intérêts, ensuite et surtout, contre l'intérêt général de Pontaillac », puisqu'ils ont « construit comme on construit en ville où l'on ne veut pas perdre un pouce de terrain », ce qui constituait d'après lui une étrange économie, les terrains ne coûtant alors qu'un franc au mètre carré ! De fait, Jean Lacaze découpe des parcelles à la demande, le long de l'actuelle façade de Verthamon où se dressent assez rapidement une ligne de maisons mitoyennes à arcades. A cette architecture répétitive échappent la villa Prima, conçue comme le modèle d'une maison de campagne néoclassique que l'on aurait transféré en bord de mer, ainsi que les premiers « chalets » qui sont élevés sur les deux falaises.
Un urbanisme rêvé (1870-1891)
La concurrence qu'exerce très rapidement la station d'Arcachon, érigée en commune dès 1857, pousse la famille Lacaze à réagir. C'est ainsi qu'après la guerre de 1870, entre en scène Athanase Lacaze, fils de Jean et ingénieur civil. Il s'adjoint le concours d'un géomètre avec lequel il relève le terrain « avec une très consciencieuse exactitude », afin de dresser une maquette de Pontaillac en terre glaise qui doit permettre de jeter les bases d'un véritable projet urbain. Car c'est une « ville féerique » que rêve de créer Athanase Lacaze. En témoigne son papier à en-tête et une rare lithographie en guise de réclame. À partir d'une église, le projet mêle la nostalgie de formes urbaines néoclassiques très affirmées et la mélancolie romantique que suscite une série de jardins anglais, le tout inséré dans un maillage de rues perpendiculaires permettant de mettre en œuvre les principes hygiénistes chers à la culture du XIXe siècle.
Les Lacaze font des émules
Tirant des leçons des opérations lancées par Jean et Athanase Lacaze, les héritiers Bellamy, propriétaires du petit domaine de la Métairie, se lancent à leur tour dans l'aventure de la promotion. C'est ainsi qu'à la charnière des XIXe et XXe siècles, ils tracent, à l'intérieur du bois de chênes verts qui s'étend dans le prolongement de Pontaillac, une série de voies articulées sur le boulevard Bellamy et découpent des parcelles de terrain à bâtir. Pour éviter les déboires qu'avaient connus en leur temps les Lacaze, ces opérations sont menées en étroite collaboration avec la municipalité de Royan.
Une poche légitimiste en terre républicaine
Le nom de l'avenue Louise illustre de façon anecdotique quelques rivalités politiques. Si Athanase Lacaze avait baptisé certaines voies en fonction de souvenirs personnels (avenues Blanche, Adélaïde, Clémence-Isaure...) ou pour flatter sa clientèle (avenues de Paris, de Bordeaux, d'Angoulême, de Limoges...), il avait toutefois appelé l'une des principales artères « avenue d'Orléans », affichant ainsi au grand jour ses opinions légitimistes. En 1891, la municipalité, plutôt républicaine, devenue propriétaire du réseau viaire de Pontaillac voulut changer le nom de cette voie. Finalement, pour ménager toutes les susceptibilités et laver l'affront d'un poteau planté par la Ville pour annoncer « l'avenue du Baracou » (du nom d'un terrain), il fut décidé de l'appeler Louise, qui était le prénom de... la fille aînée du maire de Royan d'alors, un certain Frédéric Garnier ! Mademoiselle Louise Garnier devenait ainsi, malgré elle, l'incarnation d'un compromis politique...
En savoir plus : Royan moderne et ancien de Emma Ferrand et La Saga des Bains de Mer de Guy Binot aux Éditions Bonne Anse.