Né, à Tunis, le 5 janvier 1925, Yves Delmas est décédé en juillet 2012. Il était un collaborateur privilégié de c-royan et le premier auteur de la Maison d'édition Bonne Anse dirigée par Pierre-Louis Bouchet. Celui-ci évoque le travail et la personnalité du géographe et historien.
« Laissez-vous conter la ville », telle est la devise du label culturel obtenu par Royan en 2011. Dans notre cité, une personne incarnait cette ambition. Elle vient de nous quitter.
L'art de l'histoire
Yves Delmas, né à Tunis en 1925, alliait le pouvoir hypnotique et l'art du récit du griot africain à un solide bagage d'historien, géographe, cartographe et photographe. Nommé professeur d'histoire-géographie en 1964 au Lycée de Royan, il succombe immédiatement au charme de la station balnéaire. Il en scrute le passé avec passion et méthode. Sa polyvalence lui permet d'établir des correspondances pour présenter à un large public des thèses lumineuses qui sont autant de clés de compréhension de ce pays. Son discours est vivant, subtil, empreint d'humour et jamais ennuyeux. Référence incontournable, offrant généreusement son savoir et ses archives, il a effectué un nombre incalculable de contributions sous forme d'articles, ouvrages, témoignages et interviews.
La carte et le territoire
En 1990, j'ai eu le plaisir de composer la maquette de son « Histoire de Royan » au moment de l'émergence de l'informatique graphique. A cette occasion, j'ai pu apprécier sa vision du rôle croissant qu'allait jouer l'iconographie par rapport au texte dans un futur proche. Ses propres cartes et photographies sont autant d'illustrations de cette prémonition. Il nous montre, par exemple, à travers une série de cartes, l'évolution de la ville ; comment un bourg de pêcheurs recroquevillé dos à la mer devient une grande station balnéaire, héliotropique et ramifiée sur sa façade maritime. En 2003, lors de la création des Éditions Bonne Anse, il me proposa d'éditer un manuscrit intitulé « Pontaillac, histoire d'une Conche de Royan ». Il s'écoula près de 1500 exemplaires de cet ouvrage en quelques semaines. Un record qui lança la Maison d'édition et qui, 10 ans et quelques 30 livres plus tard, reste inégalé.
Le gentleman du Parc
Il traversait l'avenue Émile Zola pour se rendre de son domicile au Lycée. Des générations de Royannais lui doivent leur goût pour l'histoire et la géographie. Ils s'en souviennent avec gratitude et émotion. Je n'ai pas eu cette chance, mais je me suis rattrapé lors de nos réunions de travail qui furent autant de cours particuliers. Cet humaniste, doux, digne et drôle reste dans nos cœurs. Qu'il arpente à jamais ses chères allées du Parc.
Hommage de Pierre-Louis Bouchet à Yves Delmas.
Études
- Études primaires à Tunis.
- Études secondaires à Sousse (Tunisie)
- Février 1944 : Mobilisé à Tunis
- Décembre 1944 à juin 1945 : École d'officiers de Cherchell (Algérie)
- Février 1946 : Démobilisé à Alger
- Mars 1947 : Baccalauréat, Faculté d'Alger
- Février 1950 : Licence es Lettres (Géographie) - Faculté des Lettres de Bordeaux.
- Mai 1951 : Diplôme d'Études Supérieures de Géographie, thème "L'Île de Djerba de l'antiquité à nos jours" - Faculté des Lettres de Bordeaux.
- 1956 : CAPES d'Histoire et de Géographie
- 1987 : Officier des Palmes académiques
Parcours professionnel
- Décembre 1947 à décembre 1948
Employé aux Établissements Larrieu (matériel vinicole) à Bordeaux, tout en continuant ses études supérieures (licence de géographie).
- Janvier 1949 au 30 septembre 1950
Dessinateur cartographe à l'Institut de Géographie (Rattaché à la Faculté des Lettres de Bordeaux)
- Octobre 1950 à octobre 1952
Institut de géographie de Montpellier
- Octobre 1952 à octobre 1954
Professeur à l'école Saint-Jean de Béthune à Versailles. Octobre 1954 à septembre 1985 Professeur d'histoire et de géographie à Limoux (Aude), Toulouse (Lycée hôtelier), à Mazamet (Tarn), au lycée mixte de Royan de 1964 à 1985.
- Admis à jouir de sa retraite à compter du 6 septembre 1985.
Publications
- L'île de Djerba (géographie humaine). Bordeaux : Les Cahiers d'Outre Mer, 1951
- Littoral et forêt de la Coubre (ouvrage pluridisciplinaire). Royan : Association pour une maison de la culture, 1975.
- Royan, des origines à nos jours. Royan : 1991
- Histoire de Saint-Georges-de-Didonne. Saint-Georges-de-Didonne : 2001
- L'importance des noms de lieux-dits et des noms de rues dans la mémorisation de l'histoire d'une ville. Etude sur la commune de Royan (non achevé).
Vidéo-cassettes avec la collaboration des laboratoires du CAREL (Monsieur Vauclin)
- Trois siècles d'histoire de Royan par la gravure (deux cassettes)
- 1. de 1600 à 1914
- 2. de 1914 à 1980
- Royan à la Belle Epoque
- Royan de 1930 à 1960 (distribuée dans tous les établissements scolaires de la région à la demande du « Comité du Cinquantième anniversaire de la libération de la Poche de Royan »)
- La Révolution Française (1789-1795) pour le bicentenaire
Articles
- « L'île de Djerba » (géographie humaine). Bordeaux : Les Cahiers d'Outre Mer, 1951
- « La Révolution dans la Presqu'île d'Arvert ». Poitiers : Bulletin de liaison des professeurs d'histoire-géo, Académie de Poitiers, mars 1981
- « La Presqu'île d'Arvert de 1725 à 1795 ». Série d'articles hebdomadaires parus dans Le Littoral. Marennes, janvier-octobre 1989
- « Royan à travers les siècles », brochure parue en français et en allemand pour le « Comité de jumelage de Royan-Balingen », 1990
- « Développement de la vie balnéaire à Royan », article paru dans la revue d'architecture allemande Bauwelt
- « Les Protestants dans la Presqu'île d'Arvert au XVIIIe siècle ». Les Rencontres d'Aubeterre
- « Cinquantième anniversaire de la libération de la Poche de Royan », numéro spécial du bulletin municipal de Saint-Georges-de-Didonne (brochure souvenir)
- « Comment la peur ancestrale de la mer a conditionné l'urbanisme d'une ville », article publié dans la revue éditée par le Conservatoire de l'Estuaire de la Gironde
- « Royan, sentinelle maritime, porte balnéaire » pour les rencontres nationales des 23 et 24 juin 2000 : « Royan 2000, un siècle, deux fois construite »
- Collaboration comme historien à la revue La Saintonge littéraire. (six articles parus à ce jour)
- « L'homme et la femme dans la société occidentale de l'Antiquité à nos jours » et « L'évolution du couple dans la société française au XXe siècle » dans le cadre de l'ACI (Association Catholique des milieux indépendants) Cognac-Royan
Yves Delmas a tiré sa révérence à l'âge de 87 ans. Royan était devenu la passion de cet ancien enseignant, historien, géographe et cartographe.
Les meilleurs s'en vont les premiers, entend-on souvent. La disparition, en fin de semaine dernière, d'Yves Delmas, à l'âge de 87 ans, donne le réel sentiment, néanmoins, qu'un être un peu à part s'en est effectivement allé. Les anciens collégiens ou lycéens, de bonne foi ou non, sont rarement les premiers fans de leurs enseignants. Ceux d'Yves Delmas, professeur d'histoire et de géographie au lycée Zola, de 1964 à 1985, gardent, eux, un souvenir heureux des heures de cours passées à écouter ce puits de science. Un professeur qui, discipliné, suivait le programme de l'Éducation nationale à la lettre, mais se réjouissait aussi, devant une classe de première : « Cette année, vous n'avez pas le bac. On va pouvoir faire de la vraie géographie. »
Né un 5 janvier
Ils sont une poignée à marquer ou avoir marqué l'Histoire de Royan pour avoir, justement, reconstitué patiemment et doctement l'évolution de la ville à travers les âges.
Il y eut Robert Colle. Il reste Guy Binot. Yves Delmas, lui, laissera à la postérité locale, entre autres productions écrites de ses recherches, un « Royan », dont la première édition fut publiée en 1988 et qui continue à faire référence en matière d'histoire locale. Au fil de sa carrière d'enseignant, cet historien, géographe, mais aussi cartographe de formation a officié à Versailles, à Limoux, à Toulouse, à Mazamet, mais c'est à Royan qu'avec son épouse Geneviève, professeur de philosophie, il a choisi de poser ses valises durablement. Définitivement, même.
Car Yves Delmas est tombé amoureux de Royan. Comme un signe, une date hautement symbolique explique peut-être cet amour. Yves Delmas est né le 5 janvier 1925, 20 ans jour pour jour avant le premier des bombardements alliés qui allaient frapper Royan et métamorphoser à jamais le visage de la station balnéaire. Parce qu'il aimait Royan, Yves Delmas s'est fait « un devoir de (se) pencher sur son passé. Comme s'il s'agissait de régler une dette d'honneur(1). »
Ce sentiment d'être redevable à la ville qui l'a accueilli résume l'homme autant que l'historien. Un homme « habité, tourné vers les autres, un humaniste, un vrai », assure l'éditeur Pierre-Louis Bouchet, marqué par la disparition de celui qui était devenu son ami, celui avec qui il avait collaboré à la mise en page de « Royan », celui, ensuite, qui est devenu le parrain des éditions Bonne Anse : « Puisque le premier ouvrage que nous avons publié en 2003, ça a été " Pontaillac, l'histoire d'une conche de Royan ". » Aussi féru d'histoire locale, Yves Delmas aurait pu se contenter, une fois retraité, de goûter au plaisir simple d'aimer sa ville, son quartier du Parc, surtout, comme tant d'autres. En s'y promenant, en sillonnant ses rues courbes, dessinées ainsi pour empêcher le vent froid de s'engouffrer dans ce quartier dit d'hiver. Mais « aimer, c'est d'abord bien connaître », disait-il. Et « la joie de savoir n'est pas complète si elle n'est pas transmise(2). »
Une faculté rare pour le récit
Cette conception était au cœur de la dernière conversation qu'ont eue Yves Delmas et Pierre-Louis Bouchet au téléphone, il y a moins de deux semaines. « Nous avons justement eu une discussion très intéressante sur les amoureux de l'histoire locale, ceux, surtout, qui vivent cette histoire comme une cause et non comme un business, sur le fait, aussi, que cette philosophie tend à se perdre. »
Il tenait à cœur à Yves Delmas de partager ses connaissances. Jamais il ne refusa à la mairie ou à la presse locale son concours, gracieux, ouvrant sa mémoire et ses précieuses archives à la connaissance du plus grand nombre. « La somme de ses compétences, en tant qu'historien, géographe, cartographe, mais aussi photographe, associée à sa faconde d'homme du Sud, lui donnait une faculté rare pour le récit. Avec lui, tout devenait simple et clair », apprécie Pierre-Louis Bouchet.
Ces récits « simples et clairs » resteront. L'homme, lui, s'est éteint. Ses obsèques seront célébrées au cœur cet après-midi, à 16 heures, en l'église Notre-Dame de l'Assomption du Parc. À deux pas du collège Zola, à deux pas aussi de la maison où il vécut plus de quarante ans. L'histoire des hommes, comme la grande Histoire, se nourrit toujours de symboles.
Par Ronan Chérel, Sud-Ouest du 09/07/2012.