Les blockhaus
Article publié le 24 juillet 2013
par Marie-Anne Bouchet-Roy
On ne peut pas les manquer. Les blockhaus de la Côte de Beauté sont parmi les témoins les plus apparents de la 2e guerre mondiale en Pays Royannais. Ils faisaient partie du mur de l'Atlantique édifié par les Allemands à partir de mars 1942, pour empêcher un débarquement allié sur la côte Atlantique. Celui-ci, tant redouté par le Reich, devenait en effet vraisemblable après l'entrée en guerre des États-Unis fin 1941.
Les blockhaus de la Grande Côte, peu à peu submergés par la mer du fait de l'érosion littorale
Un travail colossal
Pendant près de trois ans, les Allemands vont établir, sur 6000 km de côtes, de la Norvège à la frontière espagnole, une ligne de feu continue avec le plus grand nombre possible de pièces d'artillerie, protégées des bombardements par des couvertures de béton. La construction du Mur de l'Atlantique est supervisée par l'Organisation Todt et par les unités du génie de l'armée allemande. À l'origine, beaucoup de volontaires allemands y travaillent puis ce seront des travailleurs forcés, prisonniers, jeunes gens voulant échapper au STO, républicains espagnols et autres réfugiés étrangers. Plusieurs entreprises françaises participeront à la construction des ouvrages fortifiés. À Royan, quelques entreprises locales y travaillent, des réfugiés espagnols et des prisonniers français d'un camp de travailleurs surveillés dans la forêt de la Coubre. La main d'œuvre n'est pas particulièrement motivée et il arrive que les ouvriers sabotent le travail en ne respectant pas les proportions sable/graviers/ciment de confection du béton. Certains peuvent également transmettre les plans des défenses à la Résistance. Fin 1943, Rommel est nommé inspecteur général des défenses côtières et décide que le mur doit être renforcé. Il est persuadé que la bataille ne pourra être gagnée que si l'ennemi est rejeté à la mer. La suite lui donnera raison. Les travaux s'intensifient en 1944. 18 millions de m3 de béton auront été coulés pour la construction du mur. Ci-dessous, blockhaus au Chay (à gauche) et à la Grande Côte.
La forteresse de Royan
Dans ce dispositif, Royan occupe une position stratégique, commandant, avec la Pointe de Grave, l'accès aux ports de la Gironde et notamment à celui de Bordeaux. Dès 1942, la ville et sa région deviennent une forteresse du mur de l'Atlantique dans le Sud-Ouest, hérissée d'ouvrages défensifs et semée de mines. De Ronce-les-Bains à Suzac, 26 km de plage sont fortement défendus. À l'intérieur des terres, les défenses longent la Seudre puis sont positionnées sur une crête principale qui passe par Semussac. En septembre 1944, les Allemands, qui se replient devant l'avancée des maquis et de l'armée alliée débarquée en Provence en août, s'enferment dans la forteresse royannaise, créant un réduit, la poche de Royan, qui ne sera libérée qu'en avril 1945 après avoir subi un bombardement inutile en janvier 1945. Les très nombreux vestiges d'ouvrages fortifiés que l'on trouve aujourd'hui en Pays Royannais rappellent cette histoire particulière.
Les plages hérissées d'asperges de Rommel
Des blockhaus modèles
Les blockhaus faisaient partie de programmes de construction établis par l'organisation Todt qui utilisait les différents modèles de ses catalogues. Il existait des familles d'ouvrages possédant une affectation spécifique et les principes de construction étaient très stricts. Selon Alain Chazette et Fabien Reberac, on distingue abris passifs, soutes à munitions, abris pour le logement, l'infirmerie, les projecteurs, les sanitaires, les transmissions, la citerne, le groupe électrogène... et les abris actifs qui protègent les mortiers, mitrailleuses, canons ou chars, de l'imposante batterie côtière au Ringstand, un petit ouvrage constitué d'une entrée et d'un trou permettant l'observation, le tir à la mitrailleuse ou au mortier. Ces ouvrages sont regroupés pour former des ensembles plus ou moins vastes selon l'importance du secteur à contrôler : Ce peut-être des points d'appui, modestes mais parfois importants, installés près du rivage pour combattre l'ennemi directement sur la plage qui comprennent des casemates pour des pièces anti-char, des mitrailleuses ou mortiers, des abris pour le personnel et les munitions ; des batteries d'artillerie destinées à former une ligne de feu continue pour combattre la flotte ennemie avec des canons de tous diamètres qui peuvent avoir plusieurs dizaines de km de portée, montés sur un pivot central permettant leur rotation ; des forteresses qui désignent l'ensemble du système défensif, y compris des bases sous-marines qui protègent un port important. La plupart de ces positions sont protégées par des batteries antiaériennes (Flak). Il faut ajouter que ces ensembles étaient également protégés par des champs de mines, en mer et sur la plage et que le rivage étaient hérissé d'obstacles anti-char, barbelés, asperges de Rommel (pieux en bois), tétraèdres en béton, hérissons tchèques (croix en acier), plots béton...
Des constructions « béton »
Les blockhaus sont construits en profondeur pour ne pas dépasser de plus d'un mètre au-dessus du sol (sauf casemate d'artillerie et poste de direction de tir) et les murs peuvent faire jusqu'à 2m d'épaisseur voire plus pour les batteries les plus importantes. Le long de la côte royannaise, les matériaux sont amenés par le tram : ciment, sable, gravier, fer à béton, poutrelles métalliques. Sur un socle de béton se dresse l'armature métallique dans laquelle sont installées les canalisations, les conduites d'aération... Le plafond est souvent renforcé par des poutres d'acier puis on coffre l'ensemble. La coulée de la deuxième structure béton doit se faire en une seule fois pour éviter les raccords qui sont des points faibles. Une fois le béton séché, on enlève la menuiserie bois, on recouvre d'une couche de goudron pour l'étanchéité puis la terre ou le sable sont replacés. Pour tenter de détourner les bombardements alliés, les blockhaus sont souvent recouverts de filets de camouflage, de rocaille, de végétation ou « déguisés » en villa grâce à des peinture en trompe-l'œil, fausses portes et fenêtres, avec rideaux et volets, faux toits de tuiles. Parfois, la structure même des abris imitait une maison avec un toit et des débords de toit.
« Drôle de guerre »
La vie à l'intérieur des blockhaus est rendue possible par l'aération continue, le chauffage ou la ventilation. Les conditions sont assez sommaires et la garnison trouve le temps long. Certains soldats ont un bon coup de crayon et égaient les murs avec des peintures et fresques, parfois humoristiques, qui évoquent souvent la patrie. L'éloignement devient pour eux plus pénible dans les derniers mois, alors que l'Allemagne est bombardée quotidiennement et que les alliés filent sur Berlin. Les hommes affectés au Mur de l'Atlantique ne sont pas les meilleurs guerriers du Reich. Ce sont souvent les plus âgés ou des blessés en repos qui repartent ensuite sur le front de l'est. Le turn over important ne favorise pas l'efficacité. On y trouve aussi des soldats polonais, tchèques, russes sous l'uniforme allemand, peu motivés, candidats à la désertion et dont les Allemands se méfient. Quand Rommel prend l'organisation en charge, il lui semble que le mur est un vaste camp de vacances comparé aux autres fronts. Ces blockhaus n'ont subi que très peu de dommages lors du bombardement de janvier 1945. Ils seront pris d'assaut lors de la libération de la poche en avril 1945. Après trois jours de combats et d'intenses bombardements aériens, navals et terrestres, notamment depuis des pièces d'artillerie installées dans le centre de Saint-Palais, pilonnant les blockhaus de la Coubre, l'amiral Michahelles, commandant des forces allemandes sort de son bunker de Pontaillac et se rend. Ci-dessous, intérieur de blockhaus.
Beaucoup de blockhaus ont été détruits après la guerre, les blindages enlevés par les ferrailleurs. En bord de côte, les ouvrages sont enfouis dans le sable ou progressivement submergés par la mer du fait de l'érosion marine qui entraine le recul du trait de côte. Plusieurs bunkers sont cachés dans les jardins, servant de fondations ou d'abris. Il en reste cependant beaucoup, certains très visibles comme à la Grande Côte, d'autres intégrés dans le paysage urbain, d'autres enfin plus discrets, que l'on découvre par hasard au détour d'un chemin.
Les vestiges du blockhaus de l'amiral Michahelles (un immeuble a été construit depuis à son emplacement).
En savoir plus : Royan 39-45 Guerre et plage Tome 1 et Royan 39-45 Guerre et plage Tome 2 de Marie-Anne Bouchet-Roy aux Éditions Bonne Anse.