Alice Naulin avait 24 ans la nuit du 5 janvier 1945 quand Royan a été rayée de la carte. Miraculeusement elle a échappé à la mort. Elle livre son témoignage au journaliste Didier Piganeau de Sud-Ouest.
Une petite photo d'amateur en noir et blanc avec le bord dentelé, soigneusement rangée dans un minuscule album en plastique. La photo d'une maison en ruines, les entourages de portes et de fenêtres noircis, au milieu d'un paysage de mort. Au dessus, une étiquette : « 5 janvier 1945 ». Impossible aujourd'hui de localiser le sinistre décor qui se situait dans le centre-ville de Royan entre les anciennes rue Notre-Dame et rue du Marché (à peu près à l'emplacement de l'actuel temple protestant NDLR).
« Quand les premières bombes sont tombées, vers 4 heures du matin, j'étais dans la chambre au premier étage dans la maison de ma future belle famille. Je n'ai pas tout de suite compris ce qui se passait, c'est allé très vite. Tout d'un coup la fenêtre a été arrachée et est tombée sur mon lit. Paf ! » De cette nuit d'apocalypse où la cité balnéaire a été ravagée par les bombes anglaises Alice Naulin s'en souvient avec une incroyable précision. Minute par minute. Elle avait 24 ans.
Vivants sous les décombres
Alice, très alerte bien qu'un peu dure d'oreille, vit aujourd'hui à Saint-Palais, et cette histoire qui a bouleversé sa jeune vie, elle a mis longtemps avant de pouvoir la raconter, même à ses proches. « Je ne sais plus comment je me suis retrouvée au rez-de-chaussée - ou ce qu'il en restait - en pyjama. J'étais terrorisée. Dehors, où il faisait un froid glacial -il y avait même un peu de neige- j'ai trouvé ma tante Suzanne, je l'ai prise dans mes bras, et je ne sais pas pourquoi, à cet instant ma peur s'est envolée... »
La jeune femme réalise qu'Émile son fiancé, ses futurs beaux-parents et son futur beau-frère dormaient dans des chambres voisines : « Ils étaient tous vivants sous les décombres ». Après la première vague, ils peuvent s'extirper de leurs prisons de pierre et de bois avec l'aide d'Alice et du voisin le boulanger. « Il n'y a que mon futur beau-père qui est resté bloqué et qui est mort entre les deux vagues de bombardements. » Le calme précaire revenu, la tante Suzanne se met en tête d'aller à la recherche d'une autre nièce qui habitait dans une maison voisine. « On ne l'a jamais revue, et on n'a pas retrouvé son corps. »
Mariés dans les ruines
Des témoins assurent qu'au lendemain du drame on pouvait voir Pontaillac depuis la gare (1,5 km !) La coquette station balnéaire n'est plus qu'une vaste étendue de ruines où plus de 400 Royannais ont trouvé la mort sous les milliers de tonnes de bombes lâchés par 350 avions britanniques.
Le second déluge arrive une heure plus tard alors que les survivants hébétés tentent de dégager leurs proches des décombres. Beaucoup n'ont pas eu le temps de s'abriter. « J'ai encore cette image très précise dans les yeux, explique Alice, pendant que je déblayais les cailloux avec mes mains, un soldat Allemand s'est planté devant moi et il m'a dit : « Dans une heure, retour ». Il savait que les avions allaient revenir ! ». Ces quelques mots ont peut-être sauvé Alice et les siens. « Nous avons pu nous mettre à l'abri dans ce qui restait d'une porte. Les pierres tombaient de partout... »
Quand tout danger a été écarté, la jeune femme a pu trouver des vêtements et, avec les rescapés, elle s'est dirigée vers l'hôpital Sainte-Marthe de Pontaillac. « Il a fallu une heure pour y arriver, les bombes avaient creusé des cratères énormes, toutes les rues étaient bouchées. » À l'hôpital, Alice, légèrement blessée à la tête et aux mains, reçoit des soins sommaires. « Pas question de recoudre les petites plaies, les médecins n'avaient pas assez de fil. »
Une énorme solidarité naît entre les habitants des communes voisines et les rescapés. C'est ainsi qu'Alice et Émile sont recueillis par une famille de Saint-Sulpice-de-Royan. « Nous sommes restés plusieurs jours et puis les autorités nous ont fait savoir que nous allions être hébergés en Charente, mais si nous ne voulions pas être séparés avec Émile, il fallait être mariés. Voilà comment nous nous sommes mariés le 16 janvier 1945 ! »
{I}Sud-Ouest{I} du 6 janvier 2013.