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Office de tourisme communautaire Royan Atlantique - © Royan Atlantique

Royan bombardée Lettre ouverte de Paul Métadier

Les Royannais ont considéré le général de Larminat responsable du bombardement puis de la disproportion des opérations de Libération qui ont achevé de détruire la ville. Il sera plusieurs fois pris à partie. Paul Métadier, ancien maire de Royan et conseiller général, publie, en février 1948, une lettre ouverte dans le journal La Lettre Médicale.
Les journaux locaux n'ayant pas publié ma lettre ouverte adressée au Président du Conseil c'est à la demande de beaucoup de sinistrés et d'amis de Royan que j'ai dû la faire reproduire intégralement car quelques passages avaient été supprimés dans le Journal Sud Ouest qui en avait fait l'insertion.

Lettre ouverte à M. le Président du Conseil



La destruction totale de Royan est un fait brutal, tragique. Cinq ans presque ont passé. Les habitants de la ville disparue en attendent encore l'explication et la justification. En 1945, la plupart des Français jouissaient des bienfaits de la paix revenue. Longtemps, ils ont ignoré le désastre.

Moi-même, ancien maire et propriétaire à Royan, je n'en ai eu connaissance que plusieurs semaines après. Lorsqu'une question de cette importance est posée devant l'opinion sans recevoir la moindre réponse, l'atmosphère en reste empoisonnée. Des légendes se forment au détriment d'une personnalité, comme celle du général Larminat. Dès qu'une occasion se présente, l'orage éclate. Devant un tribunal militaire, la seule évocation de la destruction de Royan a contribué récemment à provoquer l'acquittement légal des inculpés et la condamnation morale de la juridiction.

Royan venait, avec Biarritz, au premier rang des stations balnéaires de la côte de l'Océan. Elle comprenait une ville permanente de 14 000 habitants, formant le quartier commercial autour de l'église et de la mairie. Plusieurs chefs-lieux de départements : Digne, Draguignan, Guéret, Privas, n'atteignent pas ce chiffre. De plus, aux deux extrémités, sur plusieurs kilomètres, de Saint-Georges à Pontaillac, dans la forêt mêlée de pins et de chênes et aménagée en parc élégant, des centaines de villas s'ouvraient l'été pour recevoir leurs hôtes, ce qui, en août portait la population de la ville à plus de 50 000 habitants. Aujourd'hui, ce cadre enchanteur offre un spectacle de désolation. Chiffres officiels : 6 000 immeubles ont été complètement détruits et 4 500 partiellement.
La destruction de Royan est un drame en deux actes, dont le dénouement est marqué par la disparition d'une grande ville et le massacre horrible de plus d'un millier de personnes.

Le bombardement du 5 janvier 1945



Ce fut d'abord le bombardement aérien dans la nuit du 4 au 5 janvier 1945. À cette date, la guerre ne sévissait plus qu'en Allemagne et seuls des Allemands pouvaient s'attendre à l'anéantissement de leurs villes. Depuis l'exode général de septembre 1944, quelques milliers d'Allemands, 10 000 au plus, ayant vainement cherché une occasion de se constituer prisonniers, étaient restés dans "la poche" de l'Atlantique, entre Royan et La Rochelle, répartis sur plus de 50 kilomètres de longueur, facilement tenus en respect par des forces régionales. Ils avaient établi des blockhaus sur le pourtour de la poche et, pour des raisons de sécurité, se dispersaient dans la forêt de La Coubre. Les Allemands n'occupaient donc plus Royan effectivement en janvier 1945.

Le 5 janvier, vers cinq heures du matin, sans que rien n'ait laissé prévoir une opération militaire, une escadre formidable de 350 forteresses volantes, apparemment britanniques, approche de Royan. Le commandant du raid encercle la ville de ses fusées rouges et les 350 bombardiers lâchent leurs bombes à l'intérieur du cercle, avec une précision rarement égalée, durant une vingtaine de minutes. Une seconde vague, aussi puissante, survient ensuite. Quand elle se retire, vers 5h30, toute la ville proprement dite de Royan a été complètement rasée et les quartiers de résidence estivale très éprouvés.

Durant l'occupation, la grande majorité de la population avait été évacuée en plusieurs convois. Le 5 janvier, on comptait encore 2 000 habitants, sur lesquels 1 050 furent tués et 300 blessés gravement. De nombreuses victimes connurent le sort atroce de mourir lentement de faim dans un abri, sous les décombres amoncelés. En regard, les Allemands, laissés en dehors du raid, dont ils constituaient cependant l'objectif, n'avaient pas été sensiblement touchés. Telle fut la catastrophe imprévue, horrible totale. Dans le silence persistant des autorités, les imaginations allèrent leur train. Les hypothèses les plus diverses furent formulées. En février 1949, je présentais, dans une revue, celle qui était communément adoptée.
À cette occasion, le général de Larminat me fit tenir une rectification, dans laquelle il dit notamment : "Il est malheureusement exact que la ville de Royan a été en grande partie détruite, dans la nuit du 4 au 5 janvier, par des bombardements alliés. Toute la lumière a été faite sur cette tragique erreur, par le Commandement allié. Il ne m'appartient pas de rompre le secret auquel ma fonction m'oblige pour révéler les responsabilités. Il me suffira de dire qu'elles ont été sanctionnées... Trop de morts, trop de destructions, ont été le résultat du drame de Royan, sans bénéfice militaire, et nul n'en a été plus attristé, nul n'a protesté plus violemment, que le Commandement local". Il ne m'est jamais venu à l'esprit de faire peser ces responsabilités d'abord sur le Commandement local.

Il est évident qu'un raid aérien de cette importance, parti du nord de la France, n'a pu être exécuté qu'en vertu d'un ordre émané des autorités militaires à l'échelon le plus élevé. Après l'incident Durnerin au tribunal militaire de la Seine, le ministère de la Défense Nationale, jusque-là obstinément fidèle à la consigne du silence, a publié la "mise au point" suivante : "Le général de Larminat a été vivement mis en cause à l'occasion d'un incident d'audience au Tribunal militaire, comme étant le responsable de la destruction de Royan, sans utilité militaire".
Le ministre de la Défense Nationale fait connaître que la responsabilité de la destruction de Royan, ne peut, en aucune manière, être imputée au général de Larminat, qui avait à l'époque donné des instructions pour faire bombarder les objectifs militaires de la Pointe de la Coubre, situés à 22 kilomètres de Royan, à l'exclusion de tous autres objectifs. Ainsi que je l'avais toujours supposé, le général de Larminat est mis hors de cause en ce qui concerne le bombardement du 5 janvier. Mais le communiqué du ministre n'en est que plus accablant pour les autorités vraiment responsables de la décision et de l'exécution. Il est inconcevable qu'une opération de cette envergure, exécutée sur notre territoire, n'ait pas été portée à la connaissance des services compétents du Gouvernement français. Évidemment, une faute lourde a été commise.
Tel est l'avis unanime de la population, avis exprimé tout récemment par le Conseil Municipal de Royan qui a voté des félicitations à M. Durnerein et a demandé au Gouvernement de rendre publics les résultats de l'enquête. Le général de Larminat nous dit que "toute la lumière a été faite". Il n'en est rien. Cette lumière ne peut être mise sous le boisseau, celui-ci prendrait-il la forme d'un képi très étoilé. Les victimes ont le droit de connaître la vérité et, dans une démocratie, tous les citoyens ont le droit d'apprécier les responsabilités encourues en vue d'appliquer des sanctions qui ne peuvent rester confidentielles.

L'opération du 15 avril 1945



Royan devait connaître encore une fois les horreurs de la guerre, lors de l'opération dirigée contre "la poche" de Royan, du 15 au 18 avril 1945. A cette date, les Russes arrivaient devant Berlin et la capitulation de l'Allemagne était imminente. Du point de vue de l'intérêt national, il suffisait d'attendre la conclusion normale des événements. Mais du point de vue du Gouvernement militaire d'alors, il était urgent d'entrer en campagne pour ne pas laisser cette ultime occasion s'évanouir sans procurer aucun avantage. Dans la Revue historique de l'Armée, le commandant de Gigord a reconnu que, le 15 avril 1945 "il eut été plus logique d'attendre la capitulation de l'Allemagne et d'éviter ainsi de nouvelles pertes humaines et matérielles", mais il ajoute que l'on ne peut "faire abstraction de facteurs essentiels d'ordre moral". Sous le couvert de la patrie, jusqu'à preuve contraire, apparaissent surtout des intérêts corporatifs qui, pour obtenir satisfaction, ont provoqué une seconde catastrophe venant compléter celle du 5 janvier.

L'attaque fut dirigée par le général de Larminat. Il est évident que seule une décision du Gouvernement a pu la déclencher. Encore une fois, la responsabilité du général de Larminat n'apparaît pas au premier plan. Tout au plus, pourrait-on dire, qu'il aurait pu refuser d'avoir recours aux procédés barbares qui furent employés, pour la première fois, contre une ville française dont les restes, sauvés par miracle, méritaient quelques égards. Le bombardement du 5 janvier avait été complètement ignoré. Les opérations des 15-18 avril furent livrées à une large publicité par de nombreux journalistes. Nous pouvons nous en faire une idée par le compte rendu publié par le journal Le Monde. L'attaque fut préparée par des bombardements exécutés à deux reprises, par 1 300 forteresses volantes et Liberators. La Marine française participait également aux opérations sous le commandement d'un amiral hissant son pavillon sur le cuirassé Lorraine, accompagné de croiseurs et de torpilleurs, montés par 8 000 marins. Les forteresses volantes ont utilisé de puissantes bombes explosives et des bombes incendiaires. Pour la première fois, les bombardiers lourds ont lâché de gros bidons emplis d'une substance extrêmement inflammable qui se répand sur le sol et brûle tout sur un espace de 60 mètres carrés. 725 000 litres de ce liquide ont été déversés sur la zone à occuper.

Deux colonnes étaient parties de Cozes et de Saujon pour prendre possession de Royan où elles entrèrent le même jour sans rencontrer beaucoup de difficultés, à en juger par ce compte rendu, littéralement reproduit : "Dans l'ensemble, la résistance ennemie a été très faible et un nombre important de prisonniers a été fait... Entrées dans la forteresse de Royan (?) à la fin de la journée, les troupes françaises y ont trouvé les défenseurs allemands encore hébétés et complètement désemparés, à la suite de l'écrasant bombardement aérien exécuté au cours de la matinée par l'aviation alliée. La plupart des prisonniers faits dans cette poche de l'Atlantique sont de tout jeunes soldats qui, dans l'ensemble, se sont rendus sans combattre".
Le Gouvernement aurait pu se dispenser de faire entrer cet épisode lamentable dans le cadre d'une histoire comptant d'innombrables et glorieux exploits. Le général de Larminat devait être le seul à estimer par la suite qu'il avait écrit "une nouvelle page de gloire". Il est évidemment excessif de lui crier qu'il "a du sang sur les mains", mais, incontestablement, ses prétendus lauriers ont été changés en cendres. Le même journaliste écrivait, le 16 août : "Royan est une ville morte, que l'on peut comparer à Saint-Lô, autre cité martyre". Des centaines d'immeubles, notamment le beau lycée de filles, qui avaient échappé partiellement au premier bombardement, en raison de leur dispersion dans les parcs, furent complètement incendiés. Les ruines de la ville virent disparaître dans les flammes ce qu'avait épargné le bombardement du 5 janvier. Au-dessus du général de Larminat, exécutant en chef, fidèle et empressé, mais simple exécutant, il faut remonter au Gouvernement pleinement responsable. Effectivement, quelques jours après, le général De Gaulle vint visiter "la région libérée de Royan". Voici le compte rendu publié dans Le Monde : "Combien émouvante la traversée, par le dédale des rues que ne bordent plus que des écroulements, de cette cité un peu factice, comme toutes les villes créées pour le loisir et qui n'est plus qu'un chaos de désolation". Sa visite terminée, le général De Gaulle en a dressé le procès-verbal en cette formule étonnante : "Ce qui a été fait a été très bien fait ! C'est donc aujourd'hui une grande journée".

Le Chef du Gouvernement a voulu aussi justifier l'opération du 15 avril, disant : "Il fallait dégager Bordeaux... L'embouchure de la Gironde est libre". Or, le motif indiqué n'est qu'un prétexte, parce que complètement erroné. L'accès du port de Bordeaux était obstrué par un barrage de cargos coulés après avoir été chargés de matériaux lourds. Il a fallu plusieurs mois pour ouvrir un passage à la navigation. Les vingt jours gagnés en avril n'ont eu aucun effet utile. On a pu remarquer avec quelle désinvolture avait été faite l'oraison funèbre de Royan : "Cette cité un peu factice, comme toutes les villes créées pour le loisir". Non seulement cette ville a été intégralement détruite, mais encore il semble que l'on n'ait pas à s'apitoyer sur son sort. Cela est si vrai qu'alors que sont prodiguées par nos ministres les Croix de Guerre et les Légions d'Honneur aux moindre bourgades qui ont subi des détériorations, ce témoignage de la sollicitude de la Nation n'a été offert à Royan que dans des conditions inacceptables. Cependant, les Royannais ont fait retour, au nombre de plus de 10 000, à leurs foyers dévastés. Par des prodiges d'ingéniosité, ils ont pu procéder à des installations sommaires et provisoires, en attendant une reconstruction encore embryonnaire. Sur le pourtour de ce que fut leur ville, restaient des maisons sinistrées qu'ils ont, tant bien que mal, rendues habitables. Campés au milieu des ruines, ils travaillent d'un cœur vaillant, témoignage émouvant de la foi d'une population dans la résurrection et l'avenir de la cité.

Épilogue



Tels sont les faits, dans leur navrante réalité. La catastrophe est complète. Elles était évitable. Des fautes successives ont été commises. Dès le début, le commandement militaire français a fait opposition à la reddition de l'amiral allemand entre les mains du général britannique Torr, ainsi qu'il est constaté dans le livre de l'ancien ambassadeur, Sir Samuel Hoare. D'autres propositions, directement faites au Commandement français, auraient été également repoussées. Les Allemands furent maintenus sur notre sol, comme un gibier dans une réserve, pour une dernière battue destinée, non à un tableau de chasse, mais à un tableau... d'avancement. Ce fut d'abord le bombardement du 5 janvier "tragique erreur", aux dires du général de Larminat.

Ce fut ensuite l'attaque du 15 avril aboutissant à une victoire facile, dont l'imagination extensive du général de Gaulle a fait "une grande journée". Mais, à moins de poursuivre "la grandeur" comme une chimère, comment peut-on concevoir une opération militaire qui se solde "sans bénéfice militaire", selon la propre expression du général de Larminat. Après avoir visité les ruines de Royan, en août 1949, le Président du Conseil de la République, M. Monnerville, a déclaré : "Pourquoi cette attaque de la cité que rien ne justifiait ? J'estime qu'elle n'était pas indispensable, mais il ne m'appartient pas, n'étant pas militaire, de juger ceux qui y participèrent. L'histoire seule le fera". L'affirmation de ce haut personnage de l'Etat est grave mais sa conclusion est à rejeter. Ce n'est pas aux militaires qu'il faut demander d'apprécier le rôle des militaires. Aussi la demande d'enquête, présentée au Ministre de la Guerre, le 10 février 1946, par l'Association des Sinistrés, n'a reçu aucune réponse. De plus, il est bon de ne pas laisser à une lointaine postérité le soin d'écrire l'histoire. Les plus qualifiés sont les contemporains qui peuvent recevoir les témoignages des grands acteurs du drame aux cent actes divers.

Le Gouvernement l'a compris puisqu'il a institué une Commission chargée de réunir la documentation relative à la période de la guerre et de la Libération. Je vous demande, Monsieur le président du Conseil, de vouloir bien, dans le sein de cette nombreuse Commission, créer une sous-commission de cinq membres chargée de faire, sans plus attendre, la lumière sur les événements dont Royan a été le théâtre de janvier 1944 à la fin décembre 1945. La présidence de M. Pierre Renouvin, membre de l'Institut, dont l'enseignement à la Sorbonne a porté spécialement sur les dernières périodes de guerre, inspirerait confiance à tous. J'espère que vous voudrez bien réserver un accueil favorable à cette demande pressante de l'ancien maire de Royan durant quinze ans, maintenant son conseiller général. En écoutant la voix du mandataire qualifié d'une population très malheureuse, vous éviterez dans l'avenir d'entendre des manifestations insolites dans nos prétoires.

Paul Métadier, Conseiller général de la Charente-Maritime, Ancien Maire de Royan.